
Forte d’une expérience en restauration ambulante depuis plus de trois ans, l’association pessacaise Epi’sol a pu, en 2024, concrétiser son projet de restaurant solidaire. Baptisé « Epi’cez tout », ce lieu d’une quarantaine de places est entièrement animé par des bénévoles.
Située à Pessac, Epi’sol Pessac a été créée il y a près de dix ans par un collectif d’habitants dans le but de favoriser l’accès à une alimentation de qualité pour tous. Elle s’est progressivement dotée d’une épicerie solidaire, d’un jardin spécialisé autour des plantes aromatiques et des fleurs comestibles, et d’un outil de restauration ambulante, le vélo cargo et sa cuisine mobile. Aujourd’hui, l’association porte également un espace de vie sociale, et compte cinq salariés, une centaine de bénévoles et plus de 1 300 adhérents.
La dernière création de l’association s’appelle « Epi’cez tout. » Ce projet de restaurant ou de bar associatif trottait dans la tête des membres du bureau de l’association et des bénévoles depuis un certain temps, mais personne ne pensait qu’il pourrait prendre forme rapidement, compte tenu de la nécessité de disposer d’un local adapté. Tout s’est accéléré après la proposition d’Aquitanis, l’office public de l’habitat de Bordeaux Métropole, de mettre un tel lieu à disposition d’Epi-sol pour y monter un projet de restauration et faire du lien avec la résidence sociale située à proximité. L’incubation a été menée avec l’association Atis, suivie de la recherche de financeurs. En moins d’un an, « Epi’cez tout » a pu ouvrir ses portes.
« Le fonctionnement de notre restaurant suit la même logique que l’épicerie solidaire, » explique Fabienne Maugue, animatrice. « Il est ouvert à tout le monde, et nous adaptons les prix en fonction de la situation sociale des publics accueillis. Nous allons jusqu’à la gratuité pour quelques repas destinés aux personnes dans la rue. En partenariat avec l’association Imagine demain, nous réalisons chaque mercredi quinze repas, livrés le soir même dans le cadre d’une maraude. Cette possibilité, offerte aux personnes de la rue, est portée par la Fondation pour le Logement des Défavorisés. Nous avons aussi un principe de repas suspendu. »
Un projet participatif
Les bénévoles intéressés se sont mobilisés pour monter le projet, certains sur les aspects administratifs, et juridiques, d’autres sur la cuisine. « Chacun a mis sa petite brique, c’est un vrai projet collectif participatif. Nous avons aussi travaillé sur la décoration avec des gens de la rue, des gens en précarité, des bénévoles qui ont œuvré ensemble pour en faire un lieu accueillant. » Avec le chantier d’insertion Insert’net les tables, le bar, les portes de placard, ont été réalisés à l’aide de palettes et de bois de récupération.
Autre objectif, celui de faire travailler les producteurs locaux, de n’utiliser que très peu de produits transformés, et de tout réaliser au sein même du restaurant. L’achat des denrées ne doit pas dépasser cinq euros par repas. Pour assurer l’activité et le salaire du chef, il faut quotidiennement servir une vingtaine de repas complets à douze euros.
Chaque année, Bordeaux métropole délivre le prix de l’ESS doté d’un prix de 5 000 euros. « Epi’cez tout » a candidaté et a été lauréat fin 2024. « C’est une reconnaissance qui venait appuyer la valorisation de notre projet. Ça a été un gros coup de pouce en termes de communication et de promotion. Ce prix, c’était aussi l’entrée de Bordeaux Métropole dans le tour de table des financeurs de notre restaurant. Et puisque l’esprit du lieu, c’est d’effacer les différences, d’accueillir tout le monde, pas seulement les plus pauvres, le label économie sociale et solidaire est tout à fait adapté à notre démarche. »
« Epi’cez tout » vit en partie grâce à des subventions publiques. Les collectivités ont participé à sa création et à sa mise place, comme la Région Nouvelle-Aquitaine. Son fonctionnement est soutenu par Bordeaux Métropole, la ville de Pessac, le Département de la Gironde, ainsi que la CAF de la Gironde en raison de l’espace de vie sociale. Une série d’autres financeurs interviennent, comme la Fondation pour le Logement des Défavorisés, les entreprises AXA et le Crédit Mutuel. En 2025, le projet a également obtenu un soutien de Bordeaux Mécènes Solidaires, un fonds de dotation porté par Bordeaux Métropole qui regroupe un grand éventail d’entreprises.
Le modèle économique repose également sur des ressources propres, d’abord les déjeuners servis, puis des prestations traiteur pour la ville de Pessac, des comités de quartier ou encore des entreprises. L’idée d’un lieu comme « Epi’cez tout » n’est pas de devenir totalement indépendant des financements publics puisqu’il répond tout de même à une préoccupation portée politiquement. Il est important que les financeurs restent proches de ce genre d’initiatives, afin de fournir des repas gratuits aux personnes qui en ont besoin, garantir la masse salariale, et plus largement assurer le fonctionnement de l’association.
« Ensuite, il y a ce que nous appelons l’économie de la réciprocité. Cela inclut tous les liens avec les bénévoles, de liens entre le don et le contre-don, ce que chacun apporte, comment il l’apporte et ce qu’on peut donner en retour. Ce n’est pas juste le bénévole qui donne, c’est aussi Epi’sol qui prend soin de ses bénévoles en leur offrant des repas, ou des moments conviviaux. »
Du bien au corps, du bien à la tête
« Epi’cez tout » a aussi une dimension thérapeutique. « Depuis quelques années, par exemple, nous avons avec nous une jeune fille hébergée au Foyer Accueil Médicalisé Château Sauvage à Pessac, avec un profil dit neuroatypique. Elle est très investie au restaurant et voudrait passer un CAP pâtisserie. Mais elle n’en a pas les capacités aujourd’hui. Des bénévoles l’aident pour certaines matières comme le français et les mathématiques, de façon qu’elle acquiert progressivement un niveau suffisant pour tenter son CAP dans deux ou trois ans. D’autres bénévoles fréquentent le lieu pour passer du temps, pour oublier leur pathologie, parce qu’ils aiment bien venir servir les gens, faire à manger, etc. Ou partager leur passion pour la pâtisserie. »
Pour l’instant, le principe est de laisser venir les gens, sans aucune barrière. Si une personne vient au restaurant ne serait-ce que pour cuisiner une heure, on ne lui demandera pas de revenir plutôt le lendemain parce qu’il y a trop de monde en cuisine. Si la personne est là aujourd’hui, on la considère le jour même, on la prend telle qu’est est à cet instant.
À terme, l’idée de l’association est de certifier le restaurant, d’envisager de le transformer en véritable structure d’insertion ou en tiers-lieu. Mais cela demande de constituer et déposer un nouveau dossier, et dans ce domaine, les deux années passées ont déjà été très intenses. La priorité immédiate pour 2025 est plutôt de renouveler l’agrément pour l’espace de vie sociale.
Autre enjeu majeur, pour 2026, afin de faire face à la baisse tendancielle des dotations publiques, celui de diversifier les sources de financement, de rester très ouvert aux prestations et de faire en sorte d’installer l’activité sur le territoire. Epi’sol prévoit notamment de solliciter la banque des territoires. Mais pour cela, il faut avant tout décrocher un agrément « Entreprise solidaire d’utilité sociale » (ESUS).
« Pour le moment, nous avons un très gros projet, la réalisation d’un livre de recettes venant des quatre coins du monde. Ce sera l’occasion de valoriser tous les bénévoles qui viennent en cuisine, qui venaient déjà sur le vélo cargo. Et de valoriser aussi notre production de plantes aromatiques. Nous avons pour objectif de le sortir au printemps prochain. Avant cela, nous avons mis en place des ateliers d’écriture avec des bénévoles et la préface sera signée par l’écrivaine Marie N’diaye qui habite à Pessac et nous fait le plaisir de soutenir nos actions. »
