Un campus dans un campus

Paroles d’acteurs

À Tulle, le quartier de Souilhac a longtemps été le siège de la manufacture d’armes qui a fait la prospérité de la ville durant des décennies. Le site a périclité progressivement jusqu’à sa fermeture au milieu des années 2000. Depuis 2016, la communauté d’agglomération de Tulle réfléchissait à l’implantation d’un campus destiné à rassembler la majorité de l’offre de formation post-bac locale sur un site unique. Un restaurant universitaire et inter-entreprises y a ouvert ses portes en 2019, précédant le regroupement des organismes de formation en 2021.

C’est dans le cadre de cette stratégie, qu’un Campus connecté a vu le jour en septembre 2021. Sa création a été rendue possible grâce à la labellisation obtenue dans le cadre d’un appel à projet national lancé en 2020. Ce projet est ainsi financé sur 5 ans par le Secrétariat Général pour l’Investissement dans le cadre du PIA 3 – Territoires d’Innovation pédagogique sous l’égide de France 2030, opéré par la Caisse des Dépôts.

« De mars à juin 2020, une grande campagne de concertation a été menée dans le cadre du programme Action Coeur de Ville à l’échelle du territoire de l’agglomération de Tulle, » explique Caroline Monteil, cheffe de projet à Tulle agglo. « Les collégiens et lycéens, mais aussi les acteurs économiques, se sont exprimés afin de mieux comprendre ce qui faisait rester ou partir les jeunes étudiants et travailleurs. Ils ont évoqué leurs difficultés à poursuivre des études supérieures en raison de différentes contraintes, que ce soient des problèmes financiers, de mobilité ou de santé, mais aussi des difficultés à recruter des personnes diplômées ou inciter à l’esprit entrepreneurial »

« Quand on a réalisé le diagnostic, on s’est bien rendu compte que le concept du Campus connecté était une solution très intéressante pour nos jeunes, que de pouvoir continuer leurs études localement. Pour concevoir notre offre, nous nous sommes notamment appuyés sur l’expérience des Campus connectés déjà existants, comme celui de Cahors. »

C’est Sylvain Domenger, tuteur du Campus connecté Tulle Corrèze, qui a géré la première rentrée avec cinq étudiants. « Dans un premier temps, j’ai dû m’approprier l’outil, interroger les autres tuteurs, observer un dispositif né juste avant les Campus connectés qui s’appelle la Digital Académie, afin d’être capable de l’expliquer et de le vendre auprès des personnes intéressées. » Des actions de communication ont été entreprises, les établissements locaux contactés pour les informer et les convaincre que le nouveau dispositif n’entrait pas en concurrence avec eux, et qu’ils pouvaient lui adresser des candidats. Avec l’université de Limoges, des comités de sites ont été mis en place à Brive, Tulle et Guéret, afin de rapprocher l’enseignement supérieur des territoires.

Le cahier des charges national des Campus connectés indique que l’offre s’adresse aux néo bacheliers. Mais Tulle a voulu d’emblée toucher un public plus large, comprenant aussi des adultes en reconversion ou des jeunes suivis par la mission locale ou France Travail. En fait, toute personne exprimant son intérêt à faire des études, et ayant la capacité de suivre des enseignements à distance, qui nécessitent un certain degré d’autonomie. L’idée était également de s’adapter au territoire, de répondre aux besoins des entreprises en restructuration, notamment en matière de reconversion professionnelle.

Les études c’est aussi à distance

Le message du Campus connecté consistait à promouvoir les études supérieures pour tous, à expliquer qu’il était possible de suivre des études à distance proche de chez soi, que le manque de moyens ou d’envie de quitter son territoire ne devait pas faire renoncer quelqu’un à une formation. La dimension « campus » a été valorisée dès le départ, elle qui offre un environnement étudiant et des solutions pour rompre l’isolement.

Les candidats se présentent eux-mêmes, ou sont aiguillés par une mission locale, France Travail, le CIO, un lycée.  Ils sont reçus en rendez-vous, pendant lequel le tuteur passe en revue leurs motivations, leur explique les règles de fonctionnement, leur fait visiter les locaux, évalue leurs connaissances en informatique pour voir s’ils sont à même d’être autonomes devant un écran. Seule véritable condition pour être accepté, avoir trouvé une formation à distance.

Chaque candidat signe un contrat d’accueil et un règlement intérieur. Il s’engage à être présent douze heures par semaine en moyenne sur l’année. « On fait du cas par cas, on ne va pas sanctionner quelqu’un et rompre son contrat parce qu’il a eu un empêchement d’ordre familial. Chacun a un mode de vie et des contraintes différents.  Certains sont en service civique ou travaillent à mi-temps, ils ont parfois des rythmes différents d’une semaine à l’autre. C’est à moi de m’adapter, d’essayer de trouver un créneau pour mettre en place des activités avec le maximum de personnes. »

La date de rentrée est liée au cursus universitaire ou privé. Les néo bacheliers démarrent plutôt en septembre après les résultats de bac ainsi que les retours de leurs vœux sur Parcoursup. Le processus de sélection s’étend globalement de juillet à septembre, et c’est le plus souvent à ce moment là qu’intervient un temps d’intégration. D’autres jeunes ou adultes arrivent plus tard, en fonction de leur calendrier d’entrée en formation respectif.

La nature de l’accompagnement du tuteur dépend de chaque individu et de son degré d’autonomie. Le contrat passé entre l’agglomération et l’étudiant est finalement assez simple : réussir son année. Pour cela, il faut qu’il prouve qu’il s’en donne les moyens. « Je leur impose un entretien mensuel, en face à face, ça fait partie de leur engagement. J’adopte un peu la posture d’un manager, l’étudiant vient me présenter son travail du mois, je lui demande des comptes sur les objectifs fixés au préalable, on étudie son planning de cours, on y intègre du temps de révisions avant ses examens. »

 « Une fois que nous avons fait le tour des questions « scolaires », nous échangeons sur sa situation personnelle, son intégration au sein du Campus, son envie de participer aux activités, ou d’en proposer de nouvelles. C’est la dimension psychologique de mon poste. Les étudiants ont besoin d’une écoute, d’une personne présente à leur côté pour les rassurer, les rebooster parfois. Certains ont plus besoin de moi donc je vais vraiment être derrière eux régulièrement. »

« Il n’existe pas de règles générales, de logiques d’âge ou de genre. Chaque individu a des besoins propres. Je suis beaucoup plus sollicitant dans les premiers temps, je crée les liens pour que ça se passe bien entre eux, ensuite je m’efface petit à petit. Dans tous les cas, ils restent entièrement responsables de leurs objectifs et de leurs résultats. »

Une dynamique collective

La fréquentation d’un Campus connecté présente plusieurs avantages, en premier lieu une vie étudiante qui permet de rompre l’isolement, de rencontrer des pairs de différents âges, dans diverses situations, qui suivent des formations différentes. De plus l’accompagnement du tuteur est un avantage indéniable pour l’accompagnement vers la réussite. Ce dernier joue également un rôle important en matière d’orientation.

Par ailleurs, les animations et activités proposées toute l’année, ont pour principe de sortir les étudiants du cadre de leurs études, et de créer du lien entre eux. Elles peuvent être ludiques (faire son savon, atelier cuisine), artistiques (ateliers sculptures) ou culturelles (visite d’un théâtre ou d’un musée), ainsi que méthodologiques, pour travailler sur la prise de notes, rédiger son CV et sa lettre de motivation, s’entrainer à la prise de parole, rencontrer des entrepreneurs qui viennent présenter leur métier. Chaque année un des Campus connectés reçoit les étudiants de tous les autres sites, l’occasion pour eux de se rendre compte qu’ils ne sont pas les seuls et peuvent être solidaires. « Je leur dis à chaque fois, venez comme vous êtes. Vous pourrez faire plein de choses que vous ne pourriez pas faire dans un cursus universitaire classique, donc à vous de me proposer des idées ».

Les retours sont essentiellement positifs et on constate que les Campus connectés entraînent des résultats bénéfiques pour les territoires, tant au niveau démographique qu’économique. Certains étudiants ou adultes en reconversion créent, par exemple, leur propre activité après leur formation, des entreprises qui ont vocation à rester et à se développer sur leur territoire.

À Tulle, le Campus connecté a su enclencher une belle dynamique sur le territoire grâce à une implication remarquable de l’ensemble des parties prenantes du projet. La recherche de nouveaux partenariats est désormais une des priorités pour pérenniser le dispositif, en multipliant les contacts directs, lors de salons, de forums, etc. Les réflexions portent également sur la rentabilité du dispositif pour le maintenir et le faire croître. « Nous travaillons pour asseoir le fonctionnement et ainsi prouver aux élus qu’ils ont eu raison de le mettre en place, et que la dynamique doit se poursuivre. Petit à petit les choses évoluent, de nouvelles portes s’ouvrent. Le dispositif s’intègre localement dans le paysage universitaire et les partenariats s’étoffent pour maintenir ce service localement »