
Entre 2021 et 2023, le service emploi de la régie de quartier Diagonales de La Rochelle a mené une expérimentation nommée « Transition compétences » sur les quartiers de Mireuil, Villeneuve et Port Neuf. L’action consistait à accompagner l’habitant depuis le domicile jusqu’à l’emploi, en lien avec un réseau d’entreprises. Elle impliquait de mener un travail important vers l’extérieur pour remobiliser les partenaires, expliquer la démarche et surtout repérer du public dans les quartiers, les centres commerciaux, les commerces, etc.
« L’avantage de transition compétence, c’est qu’on était dans un cadre expérimental, » explique Aude Ambert, coordinatrice du service emploi de la régie de quartier. « La personne était au centre, avec l’objectif de la ramener vers l’autonomie, d’être dans le pouvoir d’agir et d’avoir la possibilité de mailler avec les différents partenaires en fonction des besoins. »
L’Espresso de l’emploi, lancé en début d’année 2022, s’inscrit dans la continuité de cette action, avec la même volonté d’agir hors les murs, de partir au contact de l’habitant. Ce que ne faisait pas le service emploi auparavant même si la régie mène depuis 1993 des actions hors les murs et d’aller-vers. À cette époque, la mairie de proximité avait repris la main sur un bâtiment situé dans le quartier de Mireuil. Elle a sollicité différents partenaires locaux pour savoir s’ils étaient désireux d’intégrer le lieu, afin d’y mener des actions originales. Occasion pour la régie de poursuivre ce qui avait déjà été expérimenté et de mobiliser des partenaires de l’emploi pour mettre en place des actions communes.
Au démarrage, il a été pensé comme un atelier autour du numérique et l’emploi, avec pour objectif de permettre à l’habitant d’acquérir une certaine autonomie face au numérique à la dématérialisation. « Nous nous sommes dit qu’il fallait essayer de proposer quelque chose de plus attractif, un temps de convivialité avec tout habitant qui peut pousser la porte pour s’informer, qu’on puisse échanger autour d’un petit café, de façon très informelle. Eventuellement d’aller plus loin, jusqu’aux questions d’emploi et de devenir professionnel. En qualité d’accompagnateur à l’emploi, on a aussi le rôle et le devoir d’aborder tous les freins périphériques qui touchent la personne, de l’aider à avancer dans ses démarches, ainsi que de l’informer sur les ressources qu’elle peut trouver au sein de son quartier. »
Le lien de confiance
La convivialité est un prétexte pour déclencher un premier contact, établir un premier lien de confiance, même si la confiance prend du temps à s’installer. La posture du professionnel n’est pas la même que s’il se trouve derrière un bureau et qu’il accueille les personnes en position de sachant, quelque part un peu dominant. Le faire sortir de son bureau et aller au-devant de la personne permet d’établir une posture de proximité, plus d’égal à égal, de rentrer dans une relation beaucoup plus appropriée.
L’Espresso de l’emploi ambitionne d’être cet « autre endroit », un environnement différent. Ses objectifs sont multiples, à commencer par apporter un premier niveau d’information au sens large du terme, quels que soient les besoins d’une personne, ce qu’elle recherche. Mais aussi de lui proposer une aide dans ses démarches, de prendre contact ou de revenir vers des institutions dont elle s’est coupée à un moment donné. Il s’adresse autant à ceux qui ont besoin d’un accompagnement renforcé, avec une présence régulière, qu’à la demande ponctuelle de l’habitant qui attend une réponse quasi immédiate. La porte d’entrée est l’insertion professionnelle, mais une régie de quartier est faite pour créer du lien social et répondre aux besoins des habitants au sens large du terme. C’est l’esprit de l’accompagnement global, qui consiste à traiter tous les freins périphériques de la personne.
« Aujourd’hui, on a le sentiment que les habitants ont beaucoup plus de difficultés à se projeter. On est de plus en plus sur l’immédiateté, plus prégnante qu’avant. Et donc nous rencontrons plus de difficultés à les mobiliser, sur de l’individuel, et encore plus sur du collectif. » Il existe une véritable méconnaissance des possibilités, d’autant plus avec une population qui n’est pas toujours à l’aise avec le numérique et plus largement avec la dématérialisation. Les personnes ne connaissent pas leurs droits, elles ont tendance à abandonner si elles n’arrivent pas à joindre quelqu’un au téléphone. Beaucoup sont en souffrance, isolées, avec des problématiques de santé.
« Avec elles, il faut qu’on remette en route un certain nombre de choses, y compris dans nos mesures d’accompagnement. D’autant que les besoins et demandes ne sont pas toujours exprimées, parce que les gens n’osent plus pousser la porte, ne savent pas où aller ou parce que lorsqu’elles s’adressent à une structure, on leur dit d’aller s’adresser à un autre interlocuteur. À force d’allonger les circuits, au bout d’un moment, elles abandonnent. L’engagement peut aussi être un peu plus compliqué parce qu’elles sont déjà rentrées dans le circuit, et n’ont pas forcément eu satisfaction ou trouvé la réponse attendue. »
L’Espresso de l’emploi est ouvert tous les mardis de 14 à 16 heures. Au démarrage, le seul créneau horaire disponible était le mercredi matin, mais il n’était pas très adapté au public féminin sans solution de garde d’enfant. « Le matin n’est pas une bonne idée, parce que quand on a perdu l’habitude de se lever tôt, ça peut être compliqué de venir, surtout s’il faut déposer les enfants à l’école. On a également expérimenté un créneau le soir, jusque 21 heures, en espérant toucher des habitants un peu plus disponibles. En fait ce sont essentiellement les jeunes du quartier, quatorze à seize ans, qui fréquentaient l’espace. Mais ça n’est pas le public qu’on souhaitait mobiliser. »
Un accueil, des évènements
L’équipe d’accueil est composée des quatre conseillers en insertion du service emploi de la régie, en alternance, ainsi qu’un agent de France travail, du CCAS pour les questions d’accès au droit, et des agences intérim d’insertion, ADEF, Adef+, Cohésion 17. Au moins une fois par mois un événement est organisé autour des métiers ou des formations financées par la Région Nouvelle-Aquitaine, sur la mobilité avec l’opérateur de transport en commun de l’agglomération, qui attire jusqu’à une trentaine de personnes.
« Cette complémentarité est importante. Nous ne savons pas tout sur tout, il faut aller chercher les professionnels qui ont une spécialité, qui peuvent décanter un certain nombre de choses. Et surtout ne pas faire tout et n’importe quoi, chacun de son côté. » Par ailleurs, depuis le mois de juin, la régie a recruté une médiatrice à l’emploi dont le rôle est d’aller au contact des habitants sur les deux quartiers de Villeneuve et de Mireuil pour pouvoir se faire repérer, informer l’habitant de l’existant et promouvoir l’Espresso et ses permanences.
L’intérêt d’un travail de médiation est d’être beaucoup plus présent sur le terrain, afin d’arriver à capter plus de de personnes, parce que les missions et les exigences des structures ne le permettent pas toujours. Même s’ils viennent avant tout chercher du lien social, qu’ils sont parfois isolés, les habitants disposent de leur propre réseau de connaissances. Ils peuvent également agir comme un relais pour faire circuler des informations par le bouche-à-oreille, qui fonctionne très bien au sein des quartiers.
L’important est de partir de la réalité de l’habitant, de l’orienter et le guider vers les interlocuteurs les plus appropriés au regard de la situation. Collectivement, c’est aux professionnels de détecter quelle est la porte d’entrée qui correspond le mieux à ses demande et besoins. « Il ne faut pas se rater à cette étape. D’ailleurs il ne faut pas se rater en règle générale quand on fait de l’accompagnement. L’accompagnement ce n’est pas aller là où on veut emmener la personne, c’est bien de partir de la personne pour l’emmener là où elle souhaite aller. Ce n’est pas à nous de définir que la priorité est vers l’emploi, mais de s’occuper d’abord des besoins intermédiaires à mettre en place. Et à nous de tirer les bonnes ficelles. »
« On a changé notre façon d’être et de faire avec l’habitant au travers des différentes expérimentations que nous avons menées. On mettait déjà la personne au centre, mais peut-être pas encore de la même façon. Aujourd’hui les demandes des publics ont évolué aussi, ils ne se projettent pas de la même façon qu’avant. Ce n’est pas à eux de s’adapter à nous, c’est à nous de nous adapter à eux. »