
Pépites est un programme porté par INAE (l’association dédiée au développement de l’Insertion par l’Activité Économique sur les territoires de la Nouvelle-Aquitaine), pour un consortium de plusieurs partenaires, dont l’idée est de déployer des solutions, renforcer l’existant en formation et mener des expérimentations. Le projet compte plusieurs axes, dont un sur la montée en compétence des permanents des structures, un autre sur des modalités de formation innovantes pour les salariés en parcours.
Les open badges font le lien entre ces deux axes. Ils ont été inclus au projet à la suite d’un rapport de l’IGAS de 2023 qui préconisait leur usage dans la reconnaissance des salariés en insertion. Pour Fanny Alexandre, chargé de mission, le but est de créer des communautés de pratiques, les amener à reconnaître la montée en compétence des publics via les open badges et de créer du partage entre pairs. « Les open badges sont à la fois un moyen et une fin en soi. Notre idée, à terme, c’est d’en faire vraiment un élément pérenne de notre offre de services, et de continuer à les déployer au sein des structures. »
L’approche choisie par INAE est celle de la reconnaissance ouverte, à savoir rendre visibles et documenter des compétences, plutôt qu’une entrée « micro certifiante » qui vise à faire de la validation de compétences. « Notre enjeu était de proposer un ensemble d’open badges communs à toutes les structures. Notre approche se démarque d’autres projets qui consistent souvent à ce que des structures individuelles soient accompagnées pour créer leurs badges sur des compétences bien précises, dans leur contexte propre. » Par ailleurs, INAE n’est en mesure d’évaluer ce qui se fait dans les 500 structures de la région. Et surtout n’a pas vocation à réguler la validation des compétences des SIAE.
Au carrefour des compétences
La conception des badges s’est appuyée sur le parcours de deux ans en insertion, qui peut être divisé en trois grandes étapes. La première est l’acquisition des bases d’une posture professionnelle. La deuxième est relative à la montée en autonomie et la levée des freins, considérant que chaque action vers l’emploi constitue une montée en compétence. La dernière concerne l’accès à l’entreprise, avec des compétences beaucoup plus « cadrées » (« j’ai validé mon projet professionnel », « j’ai fait mon CV », « j’ai cherché des offres d’emploi », etc.). L’idée générale est de se placer au carrefour des compétences informelles et des éléments un peu plus techniques et précis.
Le catalogue d’INAE comporte actuellement 14 badges pour les salariés en parcours. Ils sont accessibles gratuitement à toutes les structures de Nouvelle-Aquitaine. INAE en est l’émetteur et a défini des critères qui restent suffisamment vagues pour que chacune des 500 structures que compte la Nouvelle-Aquitaine puisse se les approprier en fonction de ses pratiques. « Les badges ont été conçus en co-construction avec des structures, des prescripteurs, des entreprises ou des réseaux d’entreprises, ainsi que par notre expertise interne. Cela nous a pris un an, une durée assez normale pour un tel déploiement. Maintenant il faut que les structures s’y mettent. Le mot d’ordre, c’est qu’il s’agit d’un outil qui s’adapte véritablement aux structures et pas le contraire. Ça vient outiller des pratiques déjà existantes. »
Autre enjeu pour l’avenir, faire reconnaître les nouveaux badges par les prescripteurs, les services publics de l’emploi, les collectivités. De fait créer un écosystème et montrer que l’IAE est un secteur professionnalisé et professionnalisant qui applique des pratiques innovantes. Utiliser les open badges est un moyen de parler de toutes ces compétences qui relèvent du « apprendre à travailler. » Parce que parler de badges, c’est parler du recrutement en entreprise. Certaines structures abordent très vite la question de la reconnaissance par les entreprises, pour d’autres la question du recrutement est moins importante que de montrer aux salariés qu’ils ont évolué sur tel ou tel aspect. Par ailleurs, rien ne garantit qu’un recruteur prendra le temps de cliquer sur un badge, d’accéder au profil, de regarder les preuves et les documentations.
Il existe un grand nombre de supports d’activités différents, de consignes techniques en fonction de chaque support, et surtout de nombreuses façons de monter en compétence, par la formation, directement sur le terrain, en AFEST… C’est plutôt dans ces preuves et ces documentations attachées à chaque badge que les structures adaptent les compétences reconnues en fonction de leurs pratiques. « Ce qui compte, ce n’est absolument pas le nombre de badges qu’une personne va pouvoir mettre sur son CV. Ce qui est important c’est la démarche, comment elle identifie ses compétences, comment elle en parle et met des mots dessus. Nos badges ne sont pas attribués par les structures, ce sont les personnes qui les demandent. Pour chacun d’entre eux, on attend de la personne qu’elle prenne un petit temps d’auto-évaluation et de réflexion. C’est ça l’approche compétence, ou comment je réalise que j’ai des compétences. »
« Je fais parler les gens sur le sujet de la reconnaissance, ce qu’elle signifie pour eux. Très souvent, ils abordent la question des diplômes. Mais quand je parle à des salariés en parcours, je m’efforce de leur faire prendre conscience de tout ce qu’ils savent faire, et de tout ce qu’ils ont pu apprendre dans d’autres contextes. Je leur dis, prenez conscience de vos compétences, vous savez faire des choses même si ça ne fait que huit jours que vous êtes sur ce chantier, vous aviez des savoir-faire. D’ailleurs pour pousser la porte de cette SIAE, il fallait déjà que vous sachiez faire des choses. Cette entrée-là est vraiment très précieuse pour moi. »
Un outil de dialogue
Pour Fanny Alexandre, l’open badge n’est pas un mini diplôme, mais une illustration de compétences plutôt qu’une validation, parce qu’il ne repose pas sur un référentiel. Les entreprises ont du mal à recruter sur certains postes, elles attendent plus de savoir-être que de savoir-faire, comme la ponctualité, le respect de la hiérarchie, le travail en équipe, comprendre une consigne, etc. INAE entend mettre en valeur tous ces éléments. Les badges constituent un outil de dialogue et de médiation avec les entreprises, ainsi qu’un prétexte à mener une réflexion sur leurs méthodes de recrutement.
Une micro-certification des savoir-être n’a pas véritablement de sens, puisqu’il est difficile de les formaliser. Par exemple, la prise de parole en public ne répond pas à un référentiel, deux personnes compétentes dans ce domaine ne le feront pas de la même manière. Ce n’est pas en créant des référentiels que l’on permet à chacun de trouver sa place, puisque c’est la méthode habituelle, et qu’elle crée de l’exclusion.
En pratique, c’est le rapport au diplôme et à la compétence qui est interrogé, un sujet profondément sensible. Exemple avec c’est la fameuse ponctualité. Dans le catalogue INAE, il n’existe pas de badge « je suis à l’heure », parce que cette notion de ponctualité est inégale en fonction du statut social et professionnel. Plus on est au bas dans l’échelle de responsabilité, plus elle est importante et contrôlée.
« Je me sers de mon exemple personnel comme outil de dialogue. Par principe, je suis quelqu’un de ponctuel. Mais dans certaines circonstances, il m’arrive d’arriver en retard. Est-ce que pour autant j’ai arrêté de comprendre pourquoi il est important d’être à l’heure ? C’est cela que j’essaie d’amener dans les structures, leur faire prendre conscience que ce qui est essentiel c’est d’avoir compris à quoi sert d’être ponctuel dans une société, dans une entreprise, dans un groupe social. Même dans l’IAE, il y a un enjeu normatif et c’est très compliqué d’en sortir pour faire évoluer les pratiques et le monde du travail. »
Toute la difficulté de la mise en place d’un tel dispositif réside dans le fait de conserver un sens à l’outil open badge, de ne pas le diluer par des règles d’attribution trop souples. À l’échelle de la Nouvelle-Aquitaine, INAE souhaite créer un langage commun dans son réseau, dans un premier temps celui de la reconnaissance des compétences de salariés en parcours, puis du développement de communautés de pratique des permanents des SIAE. « Tout cela va demander un travail de très longue haleine, sachant que le problème en France c’est que l’on reste très attachés au diplôme dans le recrutement et que l’approche compétence n’est pas encore assez considérée. »