
Olivia Costantino, chargée de projet illettrisme-illectronisme à CORAPLIS (Niort), assure la coordination du dispositif « Premières marches vers la formation », pour l’ensemble des neuf partenaires deux-sévriens et le Loudunais en Vienne. Il est financé depuis 2021 par l’appel à projets régional Illettrisme et Illectronisme.
Quel est le principe du projet Premières marches ?
Le projet se décline en 3 axes fondamentaux, qui sont tisser et développer les réseaux locaux, repérer et mobiliser, et accompagner vers la formation aux savoirs de base. On a désormais besoin régulièrement de personnes relais clairement identifiées pour faciliter le passage vers la formation. Au départ, nos actions d’accompagnement se faisaient plutôt sous forme de cafés numériques. Petit à petit, nous les avons diversifiées, puisque notre réseau compte des centres sociaux, des associations, des organismes de formation. Aujourd’hui nos modes d’accompagnement sont plus généraux, comme des ateliers cuisine, des actions de proximité, par exemple à l’occasion de distributions alimentaires. On s’est formés avec la Scop l’engrenage, sur les thématiques d’actions de « aller vers », qui consistent à aller chercher les publics précaires isolés, potentiellement en situation d’illettrisme et d’illectronisme.
A-t-il été modifié depuis son lancement en 2019 ?
Le projet s’est étendu aux territoires du Thouarsais et du Mellois. Et dans le Loudunais dans la Vienne. CORAPLIS coordonne et mène ses propres actions sur le Niortais, mais chaque territoire a vraiment ses actions spécifiques. Les partenaires changent, en tout cas les missionnés. Ce qui est important dans notre rôle, c’est de garder le lien entre les partenaires et d’avoir un conducteur commun.
Dans le premier appel à projets qui s’appelait « illettrisme et illectronisme », on a proposé beaucoup de choses. Mais il y avait des travers au niveau de la réponse, certaines structures n’avaient considéré que la dimension illectronisme, et n’avaient pas ensuite orienté les publics vers la formation. A l’époque, on avait aussi répondu à un audit lancé par la Région pour connaître les freins et leviers de l’entrée des personnes en formation. Elle a affiné son approche et sorti son appel à projet « innover contre l’illettrisme » en 2021, pour lequel ils ont écarté toutes les structures qui n’avaient pas utilisé le réseau et ses accompagnements pour diriger les publics vers les savoirs de base.
Avez-vous pu consolider votre réseau ?
Il y a toujours des nouveaux arrivants, les réseaux changent, ils vivent aussi. Les facilitateurs coporteurs du projet Premières marches vers la formation animent ces réseaux et parfois font appel au CRIA NA pour des sessions de sensibilisation à l’illettrisme auprès des partenaires du réseau.
Est-ce que certaines structures sollicitées découvrent des choses ?
Oui, tout le temps. Ce ne sont pas tant les structures que les individus, les salariés. Certains sont au fait de ces questions parce qu’ils étaient intéressés par le sujet, ils avaient eu une sensibilisation, une formation. En revanche, pour certains, pas du tout, ils tombent parfois des nues. Surtout chez les conseillers numériques. Dans les structures, il y a toujours des gens qui savent et puis des gens qui ne savent pas. On ne peut pas partir avec des recettes toutes faites et des choses clé en main. Il est important de prendre en compte les spécificités des missions et des territoires.
Quel est le message que vous délivrez aux nouvelles structures ?
Notre message est, « Vous êtes susceptible de rencontrer des gens en situation d’illettrisme, isolées, etc. On vous propose une sensibilisation sur ces publics, comment les repérer et les aborder. Ensuite, comment les orienter vers notre permanence d’accompagnement, exemple sur le niortais, et d’orientation qui permet de répondre très vite à leurs besoins de formation. En plus de nos partenaires habituels, nous avons la volonté d’aller vers les services RH et les syndicats. L’idée est de travailler directement avec les entreprises pour repérer les personnes en situation d’illettrisme. On essaie de les convaincre de former leurs salariés concernés par petits groupes, pour que ça leur coûte moins cher, qu’il y ait moins de pertes de compétences et de temps pour l’entreprise.
Quelle place prend la question de l’illectronisme ?
Dans notre projet, ce sont bien des personnes en situation d’illettrisme numérique que nous visons. Certaines sont très effrayées par l’ordinateur, on évite de leur proposer de commencer par des cafés numériques. Aujourd’hui, il y a plein de leviers possibles, beaucoup basés sur la rencontre et le « faire avec », ainsi que des actions hors les murs. Le principe est de se rencontrer, de discuter de leurs centres d’intérêt, de leurs envies. Par exemple leur proposer un atelier cuisine qui sera l’occasion d’apprendre à lire, écrire et compter. Mais pour ça il faut bien se connaître, sinon les gens ne participent pas aux ateliers parce que ça les inquiète, ou ça ne fait pas sens pour eux.
A Niort, nous avons un collectif qui s’appelle Alpha CAN, c’est un collectif qui rassemble des structures de formation, des accompagnateurs, prescripteurs, médiateurs, des associations caritatives. Ils se retrouvent tous les deux mois pour faire l’état des lieux de la réponse de formation sur le territoire du niortais, et un peu alentour. Une permanence permet d’orienter les publics.
Quelles sont les structures les plus aptes ?
Pour le repérage, je ne sais pas si certaines sont plus adaptées que d’autres. Par exemple les centres sociaux en général sont bien adaptés parce qu’ils proposent toujours un petit atelier savoirs de base. Ils ont aussi beaucoup de gens en FLE. Sur l’illettrisme on a surtout l’HSP Socle de compétences avec l’itinéraire 1 (Illettrisme). Ce qui fonctionne surtout par rapport à avant, c’est l’aller-vers. On a toujours les cafés numériques. Les gens n’y venaient plus parce qu’ils devaient à nouveau s’inscrire à quelque chose. Ça a mieux fonctionné à partir du moment où on est allés vraiment vers les gens, en répondant à leurs demandes, par exemple en tenant des permanences à la Poste, à la CAF, sur les distributions alimentaires, à l’agence Siti Interim pour le niortais située dans un des quartiers politique de la ville.
Existe-t-il un profil du parfait repéreur ?
A priori, n’importe qui peut être repéreur s’il rencontre du public. Quelqu’un qui travaille dans une fripe ou une épicerie solidaire peut être un bon repéreur parce que souvent les personnes en situation d’illettrisme sont aussi des personnes précaires. Mais ça n’est pas suffisant. Certains peuvent être repéreurs, mais pas prescripteurs parce que ça n’est pas leur rôle et qu’ils sont très pris par d’autres activités. Pour nous les vrais repéreurs, ce sont plus souvent les médiateurs, comme les conseillers France Travail, qui proposent des petits ateliers CV ou de remise à niveau. Mais en général ce ne sont pas des pédagogues. On a essayé beaucoup de choses depuis cinq ans, on sait aujourd’hui ce qui fonctionne ou pas. C’est pour ça qu’il est important de susciter la rencontre.
Quel est selon vous le chainon manquant entre le repérage et l’entrée en formation ?
Cet entre-deux peut prendre différentes formes. En fait, ce qui fonctionne bien c’est l’accompagnement individualisé, le sur-mesure, c’est une entrée en formation rapide si la personne est prête. S’il y a trop d’attente, c’est un public que l’on peut vite perdre. Par exemple pour « la boîte à dons » à Mauzé, c’est la mairie, le centre social et le PLIE qui se sont associés pour aller à la rencontre des gens et proposer ensuite une orientation sur les ateliers de Mauzé. Aujourd’hui, dans la ruralité, il faut penser dans nos actions à pallier le problème de la mobilité pour aller en formation. Et ça coûte de l’argent. Après le repérage, les premières marches ce sont tous les ateliers qui existent un peu partout et qui font sortir les gens de l’isolement pour faire lien, pour faire société. Ces ateliers peuvent motiver à travailler la lecture et l’écriture, parce que les gens se sentent bien dans un groupe et au centre social. Les actions d’accompagnement sont importantes aussi quand elles se fondent dans le partenariat. C’est ce que nous demande la Région, de continuer à nourrir les réseaux, à les faire travailler et monter des actions ensemble pour accompagner les personnes vers une formation de base, notamment l’HSP Socle de compétences qui est un dispositif de la Région.
Quelles sont les évolutions que vous observez dans votre pratique ?
On doit s’adapter au terrain, aux territoires, aux acteurs locaux. S’adapter face à la baisse des financements. Il y a eu aussi un public qui en a remplacé un autre. Historiquement, on s’est adapté aux migrations. Il faut savoir que les personnes en situation d’illettrisme sont difficiles à rencontrer, beaucoup ont besoin de travailler la langue et les savoirs de base aussi. On entend certains discours selon lesquels il n’y a pas de problèmes d’illettrisme car il y a l’école obligatoire, mais l’illettrisme est un problème qui touche les personnes de manière globale pas seulement scolaire. Le travail de lutte contre l’illettrisme et pour faire accéder les personnes aux savoirs de base est continu.
Cet article est publié pour le compte de « La Place », la plateforme collaborative créée par la DGEFP, dédiée aux acteurs du Plan d’Investissement dans les Compétences et du PACTE de la Région Nouvelle-Aquitaine :