PHC, l’insertion en mode progressif

Paroles d’acteurs

Inser’Net est un chantier d’insertion situé à Bordeaux, qui accueille principalement des personnes sans domicile. En 2006, la mairie de Bordeaux lui a demandé de travailler à une réponse aux problématiques de la non-domiciliation. Dans ce cadre, la SIAE a accompagné un salarié qui plusieurs années après son accompagnement a travaillé comme pair aidant pour l’association laïque Le Prado. Cette dernière a par ailleurs été contactée par l’association Convergence qui voulait trouver une structure d’insertion en Gironde afin de mettre en place un dispositif « Premières Heures en Chantier » (PHC).

C’est donc de proche en proche qu’Inser’Net Le chantier s’est emparé de ce dispositif. « Nous étions intéressés, notamment pour une raison un peu particulière », ajoute Frédéric Peyrou, « Il existait déjà le dispositif Tapaj, né d’une réflexion menée avec le CEID, qui a développé le projet. On s’était rendu compte qu’en fait il manquait une marche avant les chantiers d’insertion pour les publics les plus en difficulté. Quand PHC nous a sollicité, on s’est dit que c’était la même marche que Tapaj, mais pour les plus de 25 ans. Pour nous c’était assez simple d’intégrer ce dispositif. »

Dans le cadre de PHC, la clé d’entrée prioritaire, voulue par Convergence, c’est d’être sans domicile. Il s’agit de s’adresser vraiment aux personnes qui dorment sous la tente, dans leur voiture ou dans les parkings. « On ne connaissait pas du tout le dispositif. Les publics sans domicile, nous les connaissons déjà, mais effectivement on sait que leur accompagnement est long. Le public qu’on accueille historiquement, on va lui permettre de passer par ce sas avant l’intégration dans un chantier pour solidifier un peu les démarches, essayer de mettre en place des parcours plus réussis. »

Un accueil inconditionnel

Le cahier des charges PHC comprend peu de consignes et de critères à respecter. Tout d’abord, l’accueil inconditionnel des personnes sans domicile, quel que soit leur état ou leur situation du point de vue de la justice, de l’addiction. Aucun entretien de recrutement, mais un positionnement par un travailleur social avant d’intégrer le dispositif. Enfin, il ne faut pas associer PHC à des impératifs de production et des bénéfices commerciaux. En termes d’horaires de travail, le minimum est fixé à quatre heures, mais il est possible d’aller au-delà. Pour le reste, les structures sont assez libres de fixer les emplois du temps, les locaux, l’intégration avec les salariés en parcours, etc.  

Dans la pratique, Inser’Net Le chantier organise une rencontre avec le travailleur social et le futur salarié. On lui présente la structure, la nature du travail, le dispositif PHC, etc. On aborde avec lui sa situation et ses difficultés afin, si nécessaire, d’adapter un peu le travail. « Le premier que nous avons embauché était en situation de forte addiction à l’alcool. Il a fallu adapter les conditions de travail et le contexte de l’activité pour lui permettre de travailler. »

Autre obligation du dispositif, l’accompagnement social et professionnel reste de la responsabilité du travailleur social qui accompagne la personne avant sa reprise d’emploi. Contrairement au cadre habituel d’un ACI qui se charge de cet accompagnement. Ainsi, en cas de rupture dans le travail, l’accompagnement social se poursuit. Si une personne se présente spontanément, elle sera renvoyée vers le CCAS ou la MDS afin de lui trouver un travailleur social référent, condition nécessaire pour l’embaucher sur PHC. Insert’Net Le Chantier peut ponctuellement aider un prescripteur à lever des freins en matière de logement par exemple, puisque la structure a une vraie compétence sur ce point.

Pour le repérage des publics, Inser’Net Le Chantier a relancé ses partenaires habituels afin de leur présenter le nouveau dispositif, de manière qu’ils orientent des publics qu’ils ne nous adressaient pas d’habitude en raison du nombre d’heures trop important d’un contrat d’insertion classique. La principale difficulté rencontrée concerne le public féminin, que PHC peine à attirer, parce que les femmes à la rue sont très difficiles à capter. D’où la nécessité d’entrer en contact avec les structures spécialisées comme les associations Toutes à l’abri, Promofemmes, ou le CIDFF.

« Pour l’instant sur PHC, nous avons 80% ou 85% de public masculin. Sur le reste de nos activités on est sur une proportion de 35% de femmes. On aimerait bien mixer un peu plus. Par ailleurs, la moitié de nos effectifs ne parlent pas français. Beaucoup d’Afghans, de Bulgares, d’Africains anglophones. On accueille tous les gens qui veulent travailler. Depuis quatre ans, un organisme de formation en FLE vient dans nos locaux deux demi-journées par semaine pour dispenser des cours de français à nos salariés sur leurs heures de travail. »

Autre principe de PHC, c’est qu’il ne devrait pas dégager de rentabilité, donc ne pas faire de production. Mais les ACI ont un modèle économique hybride, basé en partie sur des subventions, en partie sur une production qui rapporte de l’argent. « Les salariés PHC ne sont pas soumis à des obligations de production. Cela nous permet de construire un contexte de travail accessible à tous. On maintient néanmoins l’idée que les salariés PHC ont la capacité de dégager du chiffre d’affaires. Notre organisation repose sur des interventions utiles, ce ne sont pas des activités occupationnelles. Aujourd’hui, les salariés PHC peuvent assurer une partie de la production des équipes du chantier, ce qui leur permet d’alléger l’activité de ces dernières. »

Des salariés presque comme les autres

Les salariés PHC embauchent à la même heure que les autres salariés, dans les mêmes locaux, ils ont la même salle de repos. En cas d’absentéisme dans les équipes du chantier, ils peuvent y être intégrés. Potentiellement, tout le monde intervient avec tout le monde, sur les mêmes sites, avec les mêmes responsabilités. Avec cependant, des contrats plus légers pour les salariés PHC qui débutent à quatre heures hebdomadaires, puis dix, puis quinze. Ils ne sont pas présents tous les jours, mais ils ont la capacité de travailler avec les autres équipes.

Dans le jargon de l’insertion par l’activité économique on parle d’encadrement technique d’activité d’insertion par l’économie. Dans le cadre de PHC on parle plutôt d’éducateurs socioprofessionnels. L’encadrant technique dans l’IAE et sur PHC est en quelque sorte un mouton à cinq pattes. Pour Insert’Net, c’est une seule et même personne qui porte la responsabilité de l’encadrement de l’équipe et assure le lien avec les partenaires sociaux et prescripteurs. Cette éducatrice leur signale certaines difficultés, pour un public par nature assez volatil. « Nous abordons les choses de façon assez simple. On lui demande surtout de créer une dynamique positive, de faire en sorte que les gens soient contents de venir travailler. Sinon, on délègue beaucoup la partie sociale, soit aux prescripteurs, soit à nos équipes d’accompagnement socioprofessionnel. »

Le principal objectif du dispositif PHC est la résolution des problèmes. En cas de situations d’addiction, par exemple, cela consiste à mettre en place un parcours de soins. On essaie de solutionner les freins liés au logement et à la mobilité, qui empêchent la reprise d’une activité professionnelle. L’objectif n’est pas simplement l’emploi. Le but est de diagnostiquer les problèmes et de les solutionner pour permettre à la personne d’avancer.

Toutes les structures d’insertion peuvent a priori porter le dispositif PHC, puisqu’elles disposent en interne d’encadrants techniques d’insertion qui ont l’habitude de travailler avec des publics en situation précaire, aux comportements parfois un peu inadaptés ou une socialisation approximative. Cela dit, il faut avoir la capacité d’expliquer à tous les salariés en insertion que PHC est un dispositif un peu spécifique, avec des conditions d’accueil et de tolérance un peu particulières. « Par exemple, j’ai une tolérance très individualisée en ce qui concerne les absences. Je suis moins souple pour une absence de quelqu’un qui a un logement, qu’avec quelqu’un vivant sous une tente et qui va rater dix jours d’affilée quand il fait 45 degrés dehors… »

Vient ensuite la question de la pression économique. Une structure qui connait des difficultés financières et qui a déjà du mal à faire tourner ses effectifs n’a pas vraiment intérêt à envisager un PHC. « Ça peut vite devenir un caillou gênant. Mais une structure qui a bien les compétences et les capacités pour appuyer ce type de dispositif peut se lancer sans problème. De mon point de vue, ces public spécifiques ne sont pas beaucoup plus compliqués que les autres. Ils impliquent des accompagnements plus longs, parce que les difficultés sont parfois plus ancrées. Mais ce ne sont pas des gens qui ont des comportements particulièrement problématiques. »