Partenaires pour les invisibles

Paroles d’acteurs

La Maison de l’Emploi et de la Formation du Thouarsais (MEF) regroupe la mission locale, la Maison de l’Emploi et le Comité de Bassin d’Emploi. En 2024, elle a répondu à l’AMI O2R en consortium avec le CCAS, Porte Ouverte Emplois (POE) et la Communauté Professionnelle Territoriale de Santé (CPTS). Trois conseillers (MEF, CCAS, POE) travaillent ensemble sur le projet, dont Emmanuelle Renard pour la MEF.

Comment s’est faite la mise en place de votre projet ?

Sur notre territoire, il y a énormément de partenaires, beaucoup d’actions qui sont menées. L’idée c’était de pouvoir faire le lien entre ces partenaires. Le dispositif a été vraiment très bien accueilli, puisqu’il répond bien aux besoins du territoire sur le logement, la mobilité, la santé et les freins vers l’emploi. Début décembre, on a commencé par trois mois de construction d’équipe parce qu’on ne se connaissait pas, et on voulait se mettre d’accord sur notre fonctionnement. On a lu la convention pour comprendre exactement ce qu’on attendait de nous. Cette période nous a servi à travailler le partenariat, créer des groupes de travail et des ateliers de remobilisation, imaginer quels outils mettre en place. Mais aussi de rencontrer des gens, invisibles ou décrocheurs, qui pourraient être amenés à rentrer sur le dispositif.

Quel type de questions vous posiez-vous au départ ?

Nos plus grosses interrogations tournaient autour du profil du public. On se demandait si des jeunes de seize ans pourraient intégrer un groupe avec des personnes de quarante. Pareil au niveau de la rémunération spécifique à ce dispositif, on a encore beaucoup de questions. Également pour les personnes étrangères, à savoir est-ce qu’on allait pouvoir faire entrer des personnes qui avaient juste un récépissé ou est-ce qu’il fallait attendre qu’elles aient vraiment l’autorisation de rester sur le territoire. Sinon, est-il possible de faire entrer des personnes qui ont déjà un accompagnement ?

Vous êtes partis sur quelle base ?

Notre discours c’est que nous accompagnons tous publics à partir de 16 ans, très éloignés de l’emploi, qui n’ont pas d’accompagnement, ou qui sont décrocheurs de leur accompagnement. Par exemple, ils peuvent être connus de la mission locale, mais leur conseiller ne les a pas vus depuis quelques mois. On vérifie si les personnes sont prêtes à venir à trois rendez-vous par semaine, un entretien individuel et deux ateliers collectifs.

Sur la convention on a un objectif de trente à trente-cinq personnes sur l’année, on n’avait pas vraiment de chiffre, à part cet objectif, mais on s’est rendu compte très rapidement que très peu de gens ne sont pas du tout accompagnés. Il en existe tout de même, on fait du repérage d’invisibles, mais pas au tant qu’on aurait pu le penser. Cela dit, nous n’en sommes qu’au début.

A quoi ressemble votre repérage ?

Mes collègues n’ont pas assez de temps pour se rendre sur le terrain. Ils n’ont qu’une journée par semaine à consacrer au projet. Une fois par mois, j’interviens auprès d’associations caritatives comme les Restos du Cœur, le Secours populaire, la halte du cœur, le CAARUD Aides. Je vais sur le quartier prioritaire pour participer à des « cafés parents. » J’essaie de toucher un maximum de personnes. Je suis souvent avec un collègue de la mission locale qui s’occupe des jeunes, et moi des adultes. On fait aussi des permanences sur les aires des gens du voyage.

Comment vous vous adressez aux personnes que vous repérez ?  Nous accompagnons des personnes vers l’emploi, mais elles ne croient pas du tout en elles. Dès qu’on leur parle emploi et travail, leur regard se ferme, elles se détournent, elles disent que ce n’est pas pour elles. Je préfère leur expliquer que je suis là pour les accompagner dans leur projet de vie, leurs besoins, leurs envies, dans les domaines de la santé, de la mobilité, du logement. Dans ces moments de repérage, on cherche d’abord à créer du lien. 

Ceux qui sont partants pour le projet me contactent et je les reçois dans mon bureau. S’ils ne sont pas prêts à venir dans une institution, on peut se retrouver ailleurs, dans un lieu public. Lors de ce premier rendez-vous, ils me parlent de leur parcours, de ce qu’ils ont envie de faire. On se voit une deuxième fois pour que je leur réexplique O2R et ce qu’on peut faire ensemble, parce qu’en fait la première fois ils ne m’écoutent pas vraiment. On se voit une troisième fois pour la partie administrative. Chaque mois on organise un petit déjeuner qui officialise l’entrée sur le dispositif. Dans l’idéal les anciens O2R entrés le mois d’avant y participent pour un moment de partage d’échanges avec les nouveaux, pendant lequel ils peuvent reposer des questions, faire mieux connaissance avec nous, exprimer leurs attentes.

À quel moment vous sentez qu’une personne est prête à continuer ?

Une personne est mûre à partir du moment où elle vient aux trois rendez-vous. Si elle arrive à l’heure, c’est déjà un signe qu’elle est motivée. À tout moment, elle peut nous dire que finalement, elle n’est pas encore prête. Ce qui est bien avec O2R c’est que on peut vraiment adapter à chaque situation de vie, à chaque environnement familial.

Comment organisez-vous la période de mobilisation ?

La période de remobilisation dure cinq mois au plus. Pendant ce parcours, on s’efforce de faire acquérir aux participants un minimum de savoir-être. On leur propose des ateliers de jardinage, des ateliers de gestion de budget, des balades culturelles, etc. Beaucoup nous demandent aussi de travailler la mobilité et la santé. Nous avons également un atelier « bouge avec O2R » dont le principe est de montrer que dans sa vie quotidienne, lorsqu’on fait des courses ou du ménage, on se met déjà en action. Nous n’avons pas l’ambition d’être des coachs sportifs, ou des diététiciens. Le principe est d’être ensemble, d’échanger. Certaines personnes ont juste besoin de reprendre confiance en elles avant de repartir. Au cas où la personne n’est pas prête au bout des cinq mois, on imagine qu’il sera possible de continuer le parcours jusqu’à douze mois. Donc on a tout de même une petite marge.

Vous avez prévu de constituer des groupes ?

On va tester de les intégrer à des groupes existants, mais je ne pense pas que tout le monde soit prêt à intégrer un collectif. On sera probablement obligés de revenir à du suivi purement individuel, ou seulement des ateliers O2R. Quand on organise nos petits déjeuners, on observe comment se comportent les gens. Notre public ce sont vraiment des personnes très éloignées de l’emploi et de la vie sociale, on ne sait pas trop comment elles peuvent réagir. On pense que mixer les groupes pour des activités comme le jardin ou le sport, ça peut fonctionner. 

Quand parlez-vous du projet professionnel ?

J’en parle déjà lors des trois premiers rendez-vous. Souvent ce sont les gens qui abordent le sujet. Quand on parle de mobilité, de logement ou d’aller voir un médecin, de prendre soin de soi, ils finissent souvent par me dire qu’ils veulent travailler. Dès ce moment-là, je leur demande ce qu’ils veulent faire, en essayant dans un premier temps de ne pas prendre en compte leurs freins en termes de mobilité ou de garde d’enfants, etc. En fait il faut faire émerger les compétences, ça se fera par le biais de la remobilisation parce que tout est transversal. On parle du projet pendant la phase de repérage, mais c’est vrai que les premiers ateliers de remobilisation ne sont pas du tout axés emploi, seulement sur la vie quotidienne. On échange beaucoup sur l’hygiène de vie.

Vous avez rencontré des choses surprenantes ?

Avant j’étais commerçante. Au début ça a été un petit peu difficile, aussi bien pour eux que pour moi, parce qu’il y a beaucoup de gens que je connais. Certains étaient un peu gênés, et n’avaient pas envie qu’on sache qu’ils venaient à la banque alimentaire. Petit à petit, ils viennent vers moi, je suis mieux identifiée. J’avais imaginé rencontrer surtout des personnes en grande détresse et en grande précarité, mais je vois plutôt des personnes, certes éloignées de l’emploi, mais qui se débrouillent, sont insérées, ont un logement. On a aussi beaucoup de familles avec des enfants en situation de handicap, je ne m’y attendais pas du tout.

L’accompagnement va consister en quoi ?

Au bout des cinq mois de remobilisation, ils s’inscrivent à France travail qui les formera aux techniques de recherche d’emploi, à la création d’un CV, puis qui les orientera vers la structure la plus adaptée à leur accompagnement. On reste présent, on ne les lâche pas d’un coup. Cependant on ne se substitue pas à l’accompagnement. L’idée générale est de poursuivre ce suivi peut être une fois par mois ou tous les quinze jours, et ça pendant quatre mois. Nous prévoyons même, vers la fin du parcours de remobilisation, de leur proposer des visites et des stages en entreprise, des immersions, des rencontres avec des recruteurs.

Cet article est publié pour le compte de « La Place », la plateforme collaborative créée par la DGEFP, dédiée aux acteurs de l’AMI O2R et du PACTE de la Région Nouvelle-Aquitaine :

https://www.cap-metiers.pro/pages/552/Place.aspx