
Emilie Robert est coordinatrice et référente du projet E.S.C.A.L.E (Explorateurs de Solutions CIDFF64, APS, Elan Béarnais, Léo Lagrange). Ce projet est porté par l’Agence Paloise de Services (APS), en consortium avec trois autres associations paloises engagées, l’Elan Béarnais Pau Nord-Est, la Maison pour Tous Léo Lagrange et le Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles 64. Ce projet est lauréat de l’AMI de repérage et de remobilisation O2R.
Quel est le principe du projet Escale ?
L’AMI O2R est dans le prolongement du champ initial d’activités d’APS, cheffe de file du consortium. APS met à disposition du personnel dans les métiers de l’entretien, de la restauration collective, du jardinage ou encore de la manutention. Association Intermédiaire (AI) à but non lucratif conventionnée par les services de l’Etat, APS met à disposition un salarié dans les 24h au service des collectivités, d’associations, d’entreprises et de particuliers. APS est ainsi, depuis 1988, un acteur fort de l’insertion par l’activité économique.
Notre engagement auprès de l’O2R consiste à repérer, remobiliser et accompagner des personnes dites « invisibles », exclusivement sur Pau et son agglomération. Nous leur proposons un parcours individualisé et sur-mesure qui débouche, soit sur une prise en charge par le réseau pour l’emploi, France Travail ou la mission locale par exemple, soit sur une formation qualifiante ou un emploi durable adapté. Mais avant cela, nous priorisons la levée de multiples freins périphériques à l’emploi, à la vie sociale et socio-professionnelle. C’est le principe d’Escale.
Quel est le rôle des différents membres du consortium ?
Escale est une première collaboration entre les quatre associations. Cependant, les quatre structures étaient toutes, par leur ancrage solide sur le territoire et leur lien constant avec le grand public, très sensibles à l’insertion professionnelle et à l’accompagnement des personnes en marge des dispositifs traditionnels.
La MPT Léo Lagrange sensibilise à l’importance d’une bonne hygiène de vie par le biais de nombreuses thématiques, l’activité physique, le sommeil, la nutrition, les addictions, l’environnement psycho-social, etc. et propose des bilans de condition physique et moral tout au long des parcours. L’Elan Béarnais, club de Basket emblématique, vise également l’insertion professionnelle par le sport en proposant des séances sportives en collectif, des ateliers psychosociaux, des coachings individuels ou encore des mises en situation professionnelle. Les juristes expérimentées du CIDFF 64 fournissent une information juridique et une aide précieuse dans les démarches relevant du droit des familles, des violences, du droit des étrangers ou encore du droit au travail. Et enfin, APS offre les compétences d’une conseillère en insertion professionnelle qui a pour missions de lever toutes les problématiques faisant obstacles à l’insertion, incluant l’accès aux droits, le logement, la santé, la mobilité, etc. Un accompagnement pluridisciplinaire est essentiel. La complémentarité des compétences au sein de notre consortium est véritablement l’essence d’Escale.
Comment organisez-vous le repérage ?
Chaque association membre du consortium Escale repère du public invisible. APS s’appuie sur son fort réseau de partenaires que nous développons constamment et auquel nous avons présenté Escale. Ces partenaires nous adressent des personnes que nous recevons ensuite dans nos locaux pour leur proposer, sous conditions, un accompagnement. Pour les trois autres associations, elles sont en contact direct avec le public au quotidien. Elles sont ainsi à même d’identifier des personnes, des familles, les plus vulnérables qui pourraient intégrer Escale. Nous pensons en effet que le plus important est d’être visible sur le terrain, « d’aller-vers », pour créer un lien de confiance. Nous animons également des permanences dans les écoles et différentes associations comme les Restos du cœur, les centres sociaux, la MJC, où l’on ne touche pas notre public habituel. Nous comptons également, dans une moindre mesure, sur du bouche-à-oreille et les échanges informels de pair à pair : les bénéficiaires parlent du dispositif à leur entourage, et cela crée un effet boule de neige.
Quel public visez-vous ?
Notre public cible est un public « invisible » qui connait des situations d’isolement et/ou de vulnérabilités diverses. Chaque situation est différente, mais leur point commun est d’être sans contact avec un opérateur de l’emploi, en rupture avec les institutions, et de rencontrer un cumul de difficultés comme la précarité financière ou dans le logement, une santé fragilisée, une famille à charge, violences, une situation de handicap ou d’illettrisme, un faible niveau de français, etc. Aussi, pour intégrer Escale, les personnes sont soumises à quelques critères d’éligibilité et doivent impérativement être en âge de travailler, habiter sur la communauté d’agglomération de Pau, et avoir l’autorisation de travailler sur le territoire français. Nous n’accompagnons pas les personnes déjà inscrites auprès de France Travail, la mission locale ou Cap emploi.
Que se passe-t-il quand une personne est repérée ?
Le premier contact est vraiment décisif. Lorsque nous identifions un candidat potentiel, nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre. Il faut agir rapidement pour ne pas perdre le contact, ni la confiance difficilement accordée. Quand une personne vient me voir ou qu’elle m’est orientée, je m’assure que tous les critères soient valides et qu’elle soit éligible. Ensuite, je lui propose un référent de l’une des associations du consortium qui la suivra de façon individualisée tout au long de son parcours. Il est important d’établir des entretiens physiques réguliers, surtout si elle rencontre des difficultés avec la langue française. Le référent de parcours la reçoit très vite, en quelques jours seulement, pour lui présenter Escale en détails, s’assurer de la bonne compréhension du dispositif et de la motivation de la personne. Ensuite, elle peut décider librement de s’engager ou non.
A quoi s’engage une personne qui intègre Escale ?
Si elle est intéressée, nous lui donnons un livret d’accueil dans lequel son référent de parcours et elle-même signent leurs engagements respectifs, un engagement de confiance, de confidentialité et de ponctualité. Ce livret rend le programme plus palpable, c’est un peu symbolique en début du programme et un support pratique par la suite. Il contient toutes les rencontres, les évolutions et les appréciations du référent de parcours pour limiter les oublis ou les confusions. Chaque mois, nous leur imprimons le planning coconstruit entre le référent de parcours, moi-même et le bénéficiaire.
En quoi consiste un planning ?
Le programme de chaque participant est préparé en tenant compte de ses problématiques de santé, des personnes à sa charge, de ses disponibilités et de ses envies. Le référent de parcours est chargé de lui proposer différents ateliers sur le mois, et de faire un maximum d’activités au sein des quatre associations du consortium mais aussi des associations partenaires à raison d’environ quinze heures par semaine. Nous n’imposons rien et nous adaptons beaucoup. Si une personne n’a pas fait de sport depuis vingt ans, qu’elle a des problèmes de dos, nous ne la forçons pas à pratiquer l’escalade, nous adaptons son programme en fonction de ses capacités. C’est comme cela que l’on gagne sa confiance, en l’écoutant et en y allant à son rythme.
Quelle est la durée d’un parcours ?
Le parcours de mobilisation et d’accompagnement dure six mois. Une personne peut toutefois sortir du dispositif à tout moment. Il peut arriver qu’elle accède à un certain nombre de droits rapidement, l’aidant ainsi à accéder au marché du travail, ou qu’elle s’inscrive à France Travail pour bénéficier d’un autre modèle d’accompagnement. Dans ce cas, le relais est pris par France Travail. Un parcours peut durer plus longtemps, mais de manière extrêmement cadrée, et sous conditions.
Quel type d’ateliers organisez-vous ?
Ils sont très variés. Du sport, de l’accès aux droits, les addictions, l’illettrisme, la nutrition, l’alimentation, etc. Nous avons des ateliers pour réapprendre à cuisiner, à prendre soin de soi, apprendre à respirer, mettre en pratique la communication non violente et un peu de sophrologie également. Et surtout, de la reprise de confiance. Nous proposons aussi simplement de la marche à l’extérieur encadrée, afin de reprendre contact avec la nature. On propose des activités très concrètes comme des ateliers individuels numériques. Sans oublier la dimension ludique et culturelle. Ce sont des personnes qui n’ont absolument pas accès à tout ça, ce n’est pas dans leurs priorités. On les aide à remettre un pied dans la vie, afin de les sortir de leur cadre extrêmement fragile.
L’autre aspect très important, c’est le collectif. De reprendre contact avec d’autres personnes, se lever le matin pour un objectif. Ça n’est pas uniquement de résoudre les problèmes d’une personne, mais aussi de lui redonner goût à la vie en collectivité à l’aspect social, la confiance en soi, l’estime…
Est-ce que vous travaillez sur le projet professionnel ?
Le projet professionnel arrive souvent plus tard dans l’accompagnement. En moins de six mois, il est extrêmement difficile d’orienter notre public vers le marché du travail traditionnel. Cependant si, à mi-parcours ou en fin de parcours, un participant nous fait part de son souhait de travailler, qu’il a levé des freins importants, par exemple, s’il vit dans un logement décent ou qu’il a obtenu une couverture maladie, on peut entièrement lui proposer de découvrir des métiers ou des formations qui pourraient l’intéresser et lui convenir. Nous avons d’ailleurs notre tout premier bénéficiaire qui a signé un contrat de travail au bout de quatre mois, et nous en sommes très fiers. Mais notre but n’est pas de nous hâter à positionner des personnes en emploi. Cela se résulterait par un échec, nous le savons.
Quels objectifs vous êtes-vous fixé ?
Nous faisons au mieux avec une énergie débordante. Nous avons pour objectif de repérer, remobiliser et accompagner cinquante personnes par an et de les raccrocher au réseau pour l’emploi pour la grande majorité. Plus une personne participe à des ateliers différents, plus elle se remobilise et mieux c’est. Aujourd’hui, nous sommes toujours en rodage. Nous voyons que le projet est diffusé à l’extérieur de nos structures. Escale prend peu à peu de l’ampleur, il est de plus en plus connu et reconnu par nos partenaires. Je crois beaucoup au collectif, à la force de travailler ensemble de façon constructive et à l’échange.
Cet article est publié pour le compte de « La Place », la plateforme collaborative créée par la DGEFP, dédiée aux acteurs de l’AMI O2R et du PACTE de la Région Nouvelle-Aquitaine :