Le futur a sa classe

Paroles d’acteurs

Quietam studio est une filiale dédiée à l’innovation pédagogique du groupe Magellan PSI (Bruges), dont la mission est de déployer des projets numériques dans le monde de l’éducation. Yannick Brudieux, son directeur de l’innovation, précise son objectif. « Nous voulons que le matériel et les dispositifs numériques que l’on implante au sein des établissements scolaires et de formation, aient du sens. C’est-à-dire que les usages soient associés à l’utilisation de ces nouvelles technologies. Il y a une grande tendance à équiper les classes, mais nous avons constaté que les enseignants n’arrivaient pas à s’emparer de toutes ces solutions techniques, faute d’accompagnement. »

En 2021, Quietam Studio a déposé un dossier baptisé « classe du futur » auprès de la Région Nouvelle-Aquitaine. Le projet était celui d’une classe flexible et comodale, équipée de mobiliers adaptés, de technologies diverses et de solutions logicielles. Le prototype est installé depuis l’été 2024 au sein de Aérocampus Aquitaine, plus précisément au lycée Flora Tristan de Camblanes-et-Meynac. Il est mis à disposition de tous les enseignants, qui l’ont intégré dans leurs plannings afin d’y pratiquer de nouvelles techniques d’apprentissage.

Pour imaginer ce dispositif, les enseignants ont été sollicités pendant quelques mois, et leurs avis rassemblés afin de définir ce que serait le type de mobilier idéal pour transformer une salle de classe en mode « autobus » classique, en un lieu aménagé pour le travail par groupe, plus propice à l’engagement des élèves, la collaboration, le développement des compétences cognitives. Le choix final s’est porté sur des tables amovibles, de forme trapézoïdale, faciles à agencer en ilots, pour que les apprenants s’approprient l’espace.

Travail collaboratif et interactivité

Du côté des technologies, un mur interactif grand format permet de faire de la collaboration entre apprenants, par exemple pour construire des séquences pédagogiques, des tutoriels ou une carte mentale. Des outils sont utilisables par l’enseignant, comme un écran numérique interactif, et un réseau de caméras et de système audio qui lui donnent la possibilité de s’adresser à la fois aux élèves en présentiel et à distance. Les participants à distance sont en quelque sorte immergés dans le dispositif. « Notre philosophie c’est « un clic ça marche » il faut que tout le système soit extrêmement simple à utiliser. Il présente l’avantage de fonctionner dans tous les contextes d’apprentissage, en formation initiale, formation continue, alternance, etc. »

L’ensemble s’appuie sur une suite logicielle baptisée MAIA, qui a pour objectif de faciliter la vie de l’enseignant et de l’aider à utiliser les équipements, notamment parce que le travail en groupe demande beaucoup de préparation et nécessite une connaissance de techniques d’animation. « L’intelligence artificielle que l’on intègre petit à petit, peut lui fournir des QCM générés automatiquement pendant sa session, de façon à dynamiser les cours, accroitre l’appétence des apprenants et créer de l’interaction. »

« Le travail collaboratif simultané, en présentiel et à distance de petits groupes est plutôt novateur. Mais cela crée des points qu’on n’avait pas forcément envisagé, et qui nous ont incités à monter un programme de recherche, par exemple sur la réduction des nuisances sonores, de façon que l’ambiance de travail ne soit pas dégradée quand les groupes travaillent en îlots. »

Dans l’idéal, la classe du futur doit disposer d’un espace d’environ 70 m² à 120m², de manière à offrir des zones d’activité assez variées et permettre à une trentaine d’élèves, dont certains en distanciel, de travailler tous au même endroit. Sachant qu’il est possible de « délocaliser » certains modules. Au sein d’un établissement, il s’agira plutôt d’une pièce commune à l’ensemble du corps enseignants. Elle peut s’adapter à tous les publics et à toutes sortes d’enseignements et de pratiques, du collège à l’enseignement professionnel, en passant par le lycée et l’enseignement supérieur. L’outil ouvre également des perspectives dans la lutte contre la phobie scolaire, en offrant la possibilité à certains élèves de pleinement participer aux séquences pédagogiques en distanciel, éventuellement de les motiver à vaincre leurs réticences à revenir en classe.   

L’enquête menée par Quietam, confortée par d’autres travaux, montre que la quasi-totalité des enseignants considèrent que le travail collaboratif entre apprenants est bénéfique pour l’apprentissage du développement personnel et l’acquisition de compétences cognitives. L’enseignant n’est plus seulement un sachant pourvoyeur de savoir, il devient animateur. Certains pratiquaient déjà le travail collaboratif, mais avec des moyens limités, et beaucoup de temps de préparation. « Notre système, notamment MAIA, répond à cette problématique. Au-delà du matériel et du mobilier, nous avons essayé de gommer tous les côtés chronophages de ce genre d’organisation. Sans cette facilitation, on voit bien que la plupart des enseignants n’y vont pas, malgré leur appétence. »

Faciliter le changement de pratiques

« Nous savions qu’il fallait surtout axer sur la simplicité. Le changement se trouve en général à un pas de sa propre habitude. Notre parti pris est d’expliquer aux futurs utilisateurs que nous leur proposons de faire ce qu’ils faisaient avant, mais en étant plus efficaces grâce à l’outil numérique, avec l’IA et une gestion intelligente des ressources. On ne fait pas le cours à leur place, mais on est présents en amont pour préparer les sessions, pendant pour les accompagner, après pour le retour d’expérience. » Le plus souvent les enseignants ne sont pas opposés à faire évoluer leurs pratiques, mais ils ignorent comment. La découverte de nouveaux outils leur permet d’avancer dans un sens qu’ils n’avaient pas forcément anticipé.

L’application MAIA est disponible depuis le mois de novembre, une version améliorée à la suite des expérimentations menées et aux retours des enseignants. Il s’agit maintenant de la tester à une plus grande échelle, auprès des organismes de formation qui souhaiteraient s’engager dans le développement de techniques d’apprentissage collaboratives. Car maintenant que la classe existe, le défi est d’y amener des utilisateurs peu ou pas du tout habitués à travailler en îlots. On leur propose de venir avec leurs propres supports, leurs propres séquences pédagogiques. La classe du futur va « augmenter » tous ces apports.

« On ne change pas leur contenu on l’améliore, on le démultiplie. On n’a pas propension à être des ingénieurs pédagogiques, on est juste des metteurs en scène de la pédagogie. L’objectif c’est qu’on ne présente rien à l’enseignant ou au formateur avant qu’il n’arrive, aucun mode d’emploi. Nous sommes là pour le guider, on lui fournit l’application, mais c’est lui qui prépare son cours et déroule sa séquence. »

Toute innovation prend du temps. Il y a toujours un effet de rejet au départ, et la nécessité d’y consacrer un temps d’acculturation. « Nous essayons de donner du sens c’est à dire on ne va pas mettre de la techno pour mettre de la techno. Au lancement d’un tel dispositif, il y a toujours un minimum d’accompagnement. Nous n’en sommes pas encore à ce que l’utilisateur soit complètement autonome. Aujourd’hui, il nous paraît plus raisonnable de l’accompagner au démarrage. Mais peut-être que dans quelques mois les gens seront capables de se débrouiller seuls. »

Pour aller vers plus d’autonomie, Quietam studio a réalisé des tutoriels interactifs pour chacun des équipements. Les enseignants peuvent utiliser les outils comme ils le souhaitent, ils ne sont pas tenus d’en respecter strictement la logique. Certains d’entre eux ont déjà évolué dans des configurations multiples et variés, par exemple en organisant des job datings.

Aujourd’hui une dizaine d’établissements utilisent la solution. Son déploiement ne fait que débuter. L’objectif est de multiplier les testeurs et de faire adopter cette solution auprès de d’autres organismes et d’établissements scolaires, comme récemment le lycée Václav-Havel de Bègles. 

Yannick.brudieux@quietamstudio.fr

Site web : maia-education.fr