L’industrie se décline au féminin

Actus de la semaine Paroles d’acteurs #Femmes #Industrie

Le réseau des Clubs Régionaux d’Entreprises Partenaires de l’Insertion (CREPI) compte seize membres implantés dans toute la France. À Pau, le CREPI Pyrénées mène différentes actions dont « Femmes et industrie », un dispositif de découverte des métiers de l’industrie qui s’adresse à un public féminin.   Maëva Benis, chargée de mission Accompagnement Emploi et Entreprises, et Isabelle Thuillier, du service RH de Safran Helicopter Engines, décrivent cette action lancée en 2022.

Le territoire de Pau présente une grande diversité d’entreprises dans le secteur de l’industrie métallurgique et aéronautique, mais elles connaissent une pénurie de main-d’œuvre, malgré une véritable volonté de féminiser certains métiers à connotation masculine. Selon Isabelle Thuillier, la féminisation est depuis des années un cheval de bataille de la métallurgie, ainsi que d’autres industries comme la chimie, le textile, l’agroalimentaire. « Il y a vraiment cette volonté de diversifier les profils, d’intégrer des angles de vue différents. Ainsi que de contribuer à changer le regard des femmes sur l’industrie, grâce notamment à des témoignages de femmes qui ont connu des parcours un peu atypiques. »

L’action est financée et menée en collaboration avec la DDEETS, ainsi qu’avec des partenaires locaux, notamment l’UIMM qui met l’association en contact avec des entreprises ayant des besoins de recrutement et cherchent à féminiser leurs effectifs et la mixité. Elles doivent être prêtes à organiser des visites, même si cela n’est pas toujours simple, parce que la production peut être un peu perturbée, et compte tenu du fait qu’elles sont beaucoup sollicitées, que ce soit pour un public adulte ou de collégiens.

« Femmes et industrie » se fait connaître par les réseaux sociaux, et les candidates sont invitées à une réunion d’information collective pour une présentation de l’action. Une ancienne participante vient témoigner de son expérience. À l’issue de la réunion, une douzaine de femmes sont retenues. Aucune condition d’âge ou de diplôme, aucun profil particulier, afin que l’action soit accessible à toutes. Seul véritable prérequis, la maîtrise du français sans laquelle il est difficile de travailler sur le projet professionnel. « Nous avons pas mal de femmes en reconversion professionnelle, la quarantaine en moyenne. En termes de niveau de formation, nous avons de tout, de l’infra bac au Bac +5. Les femmes avec des niveaux élevés ont le plus souvent eu des diplômes à l’étranger, mais qui n’ont pas d’équivalence en France. »

Lever les freins à l’emploi

Les participantes arrivent sur prescription, elles sont toutes inscrites à France Travail. Le lien est maintenu avec leur conseiller tout au long de l’action qui dure trois mois. Cette durée ne permet pas de mener au bout le travail sur le projet professionnel, mais le suivi du CREPI se poursuit encore plusieurs mois après l’action. Les freins à l’emploi sont pris en compte, les questions de mobilité, de santé, de finances ou de parentalité mais ne sont pas au cœur du dispositif. La mobilité est un point de vigilance particulier, sur un territoire qui manque de moyens de transport en commun. « Notre idée, c’est de ne pas vendre du rêve à une personne qui aura un coup de cœur pour un métier et qui ne pourra pas s’y rendre parce qu’elle a des freins à la mobilité. Même si pour nous, ça n’est pas un critère de sélection. »

« Femmes et industrie » a trois objectifs. Le premier est d’amener des femmes éloignées de l’emploi à regagner en confiance en soi et dans leur capacité à mener une recherche d’emploi, à se reconvertir et à penser projet professionnel. Le deuxième consiste à casser les représentations stéréotypées qu’elles peuvent avoir des métiers de l’industrie, que ce soit dans la métallurgie, le textile, l’agroalimentaire, le chimique, etc.  Le troisième est de les mobiliser au travers de visites d’entreprises, les inciter à questionner les personnes qu’elles rencontrent, à se questionner elles-mêmes pour élaborer leur projet professionnel et, à terme, les amener vers l’emploi ou vers la formation.

« C’est important de dire que Femmes et industrie est un prétexte, » précise Maeva Benis. « Notre thème, c’est l’industrie, mais en aucun cas les femmes que l’on accompagne doivent se diriger vers ce secteur. Notre objectif est de les ouvrir au champ des possibles et de se positionner en fonction de leurs goûts et de leurs envies. Nous ne cherchons pas à faire recruter les participantes, mais à les amener à l’emploi en prenant la direction qu’elles choisissent elles-mêmes. » Ainsi, à l’issue de l’action, il est tout à fait possible que des participantes ne portent pas leur intérêt sur l’industrie pour telle et telle raison, le bruit, l’odeur de l’huile de coupe, le contact avec les machines, les horaires postés, etc. Pour d’autres, le travail en équipes, le fait de ne pas travailler le weekend, sont au contraire des atouts.

Le programme se déroule selon un rythme d’une à deux journées par semaine, pendant trois mois, hors périodes de vacances. Un atelier le matin, une visite l’après-midi. Sur la fin de l’action les visites sont privilégiées. Des journées supplémentaires, sept à huit vendredis, sont désormais organisées, à la suite des demandes de participantes de la première session qui voulaient se retrouver plus souvent. Le tout premier atelier a pour but de faire connaissance, de créer une cohésion de groupe, par souci de créer un climat bénéfique à la reprise de confiance en soi. « Nous accueillons des personnes souvent très isolées, on a vraiment à cœur de créer un groupe d’entraide, afin que les personnes se rendent compte qu’elles ne sont pas seules à vivre des galères. Les repas sont pris ensemble, souvent sous la forme d’une auberge espagnole, où chacune apport des plats qu’elles ont préparé elles-mêmes. Ce sont des moments un peu informels qui participent à créer cette cohésion de groupe. »

Pour ce qui est des visites, elles sont préparées en amont sous forme d’enquête métier. À cette fin, le CREPI a créé un carnet de bord pour que chaque participante y note ses questions et ses impressions, ce qu’elle a découvert, aimé ou pas aimé, si elle se projette. Cet outil l’implique un peu plus dans la démarche de projet professionnel. Avant de travailler leur CV, les participantes sont incitées à penser en termes de compétences, de savoir-faire, d’atouts professionnels, à comment les mettre en forme en une page.  

Privilégier les besoins et envies

La dimension confiance en soi est confiée à un partenaire, l’atelier Trèfle Aventure, qui aide les personnes à déterminer leurs préférences, leurs points forts et leurs points faibles, les environnements professionnels dans lesquels elles pourraient se sentir à l’aise, grâce à des outils de développement personnel. Il utilise notamment le Lego pour travailler le projet professionnel. Les femmes ont à leur disposition des milliers de Lego tous différents, avec lesquels elles construisent et visualisent leur environnement professionnel, leurs besoins et envies, avant de présenter et commenter leur maquette au reste du groupe.  

L’entretien professionnel est également abordé, les questions types qui seront posées par l’employeur, ce qu’on doit faire avant l’entretien, pendant et après. L’exercice est réalisé en binômes, avec une femme qui se met dans la peau du recruteur, l’autre de la recrutée. Ensuite les rôles sont inversés. « L’employeur a besoin d’être rassuré de la même manière que le recruté, c’est important de « désacraliser » l’entretien et de le replacer à son juste niveau. En fait, c’est la rencontre de deux personnes qui ont chacune besoin d’être rassurées par rapport à un projet de production. »

Le carnet de bord est un moyen de mettre en évidence la progression de chacune des participantes, qui ne se fait pas au même rythme. Il permet de définir la nature des accompagnements individuels. « Après la fin de l’action, on s’engage à les suivre jusqu’à six mois. Ensuite, nous clôturons l’action sur notre tableau de bord, c’est à ce moment-là que l’on renseigne les sorties. Il y a des choses qui se débloquent après l’action ce qui fait que nous sommes en réalité sur un accompagnement de neuf mois. »

Depuis le lancement en 2022, quatre sessions ont été organisées, dont deux cette année. « Femmes et industries » fonctionne très bien, elle enregistre de bons résultats en termes de sorties positives, vers la formation ou l’emploi. « Et comme sur notre territoire nous disposons d’entreprises ouvertes et qui ont des envies d’aller vers plus de mixité, toutes les planètes sont alignées. »

Lors des visites, il arrive régulièrement que les hôtes fassent découvrir les métiers support aux visiteuses. D’où la réflexion engagée par le CREPI de mettre en place un circuit plus large, au-delà des métiers de production.  « Qu’on soit dans la métallurgie, la chimie, le textile on a besoin d’approvisionnements, on a besoin d’acheteurs on a besoin de fonctions support, donc nous allons travailler sur un programme plus complet, avec un éventail plus large de métiers présentés. ».