
Angélique Feniou est coordinatrice et formatrice au sein de l’association CASSIOPEE de Ruffec (Charente). La structure compte trois pôles. Un pôle accompagnement pour les allocataires du RSA, un atelier chantier d’insertion dont le support de production est un pressing blanchisserie « Couleur lavande », et un pôle formation. En 2022 ce dernier a reçu un financement de l’appel à projets régional « innover contre l’illettrisme » pour mettre en place son action « accrocher, repérer, avancer. »
Comment a commencé votre projet ?
En échangeant avec nos association partenaires, on s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup d’invisibles qu’on n’arrivait pas à capter. Et qu’il était difficile de leur parler de formation, parce que ça leur faisait peur. On ne visait pas un public particulier, on voulait capter les jeunes, les adultes vulnérables, fragiles. Toute personne en situation d’illettrisme, quels que soient son âge, son genre ou sa situation. Parmi ceux-là, on sait, par le biais de nos partenaires qui reçoivent la communauté des gens du voyage, que c’est un public très en besoin, mais difficile à capter.
Quand vous avez décidé de présenter votre dossier, c’était pour répondre à des besoins exprimés ?
Au moment de notre réponse, on avait l’habilitation de service public (HSP) socle de compétences. Ils se trouve que pour être bénéficiaire de ce dispositif, il faut un certain statut et avoir un projet professionnel. Du coup un retraité en situation d’illettrisme ne peut pas aller sur HSP. Mais comme notre projet associatif c’est d’ouvrir la porte à toute personne qui a besoin de formation en lecture, écriture, calcul, on leur propose de participer à une autre de nos actions qui s’appelle « le français pour chacun. »
En quoi consiste « accrocher, repérer, avancer. » ?
Notre premier axe consistait surtout à renforcer le partenariat existant et l’étendre à d’autres associations et structures, pour leur donner quelques clés de repérage. On a proposé des sensibilisations à l’illettrisme à des travailleurs sociaux, des secrétaires de mairie, des associations loisirs, des encadrants techniques d’ateliers et de chantiers d’insertion. Et puis des bibliothécaires qui repèrent des difficultés chez leurs usagers lorsqu’ils remplissent le document de prêt. C’est toujours délicat pour eux d’aborder le sujet avec les personnes. On a également rencontré le Secours populaire qui nous a parlé de la fiche d’entrée qu’ils font remplir à l’accueil et qui révèle parfois des besoins de formation. Notre deuxième axe, c’est de déployer des actions pour amener progressivement le public vers les formations aux savoirs de base.
Vous rencontrez directement le public ?
Ça nous arrive, par exemple lors des distributions des Restos du cœur. On échange avec les gens tout simplement. On aborde un sujet commun sans leur parler directement de formation, sinon on les perd. C’est avant tout un travail d’échange et d’écoute. Je me suis aussi rendue disponible pour recevoir des personnes individuellement, les rassurer, parce qu’elles ont souvent eu des traumas scolaires. Je leur explique que nous faisons de la formation pour adultes, que ça n’est pas l’école. Je les invite à visiter les locaux, voir par eux-mêmes comment ça se passe sur une séance de formation.
Nous avons aussi organisé des sorties hors les murs avec les personnes qu’on avait réussi à capter, afin de créer une cohésion et les sortir du papier crayon. On a notamment fait la visite d’une médiathèque de Ruffec pour leur montrer que ça n’est pas réservé aux élites, qu’on peut y trouver des CD, de la musique, des expos, des ressources jeunesse. Pour travailler sur le repérage spatio-temporel, nous avons proposé tout simplement de prendre le train de Ruffec à Angoulême. Ça commence par se demander « comment on fait ? » Il faut lire un itinéraire, trouver le bon quai, la bonne direction. Faire ça en groupe, c’est une façon de leur montrer qu’elles ne sont pas isolées, que d’autres sont dans la même situation. Et qu’elles peuvent trouver de l’entraide et de la solidarité, qu’il ne faut pas rester seul chez soi en se disant « ce n’est pas pour moi, je n’ose pas ». Alors que des solutions existent.
Est-ce que ce financement vous a permis de développer des choses innovantes ou différentes ?
Ça nous a surtout permis de développer des approches que nous avions avant, mais qu’on avait laissé un peu en sommeil, parce qu’on n’avait plus le temps ou la possibilité de nous en occuper. Avec ce budget, on pouvait décider d’y aller. Nous avions déjà un réseau de partenaires assez important, et ça nous a donné l’occasion de le renforcer, de contacter par exemple les communautés de communes pour leur proposer notre intervention. Malheureusement, nous aurions envie de faire pleins de choses, mais ce n’est pas toujours facile de justifier d’y passer le temps nécessaire.
Quelle est la nature de votre intervention ?
Certains bénévoles des structures ne sont pas à l’aise pour parler d’illettrisme tout de suite aux gens. Parce que les personnes sont en détresse, que c’est déjà compliqué de venir chercher à manger, et ça n’est pas leur priorité de régler leurs problèmes de lecture et d’écriture. Nous, on est organisme de formation, on peut leur parler, on peut rencontrer la personne avant de prendre des décisions. Celle qui a des difficultés à passer le code de la route parce que le vocabulaire est trop compliqué par exemple. On peut se présenter tout simplement, chercher à savoir pourquoi elle n’y arrive pas, discuter avec elle sans parler de la formation.
Qu’est-ce que vous entendez par « accrocher » ?
Chronologiquement notre démarche c’est repérer, accrocher, avancer. L’accrochage, ce sont les échanges après le repérage. On s’emploie à créer un climat de confiance et on incite les gens à oser pousser la porte de l’organisme de formation. C’est à ce moment-là qu’on crée chez eux l’envie de venir voir comment ça se passe chez nous.
Vous avez rencontré des difficultés particulières ou au contraire des bonnes surprises ?
La bonne surprise c’est le bouche-à-oreille qui fonctionne bien, entre amis ou connaissances, ou par l’intermédiaire des centres sociaux. Ce qui est plus compliqué, c’est quand nous avons des personnes avec des problématiques personnelles ou de santé, qui font qu’elles peuvent venir pendant deux ou trois mois et que, sans prévenir, brutalement, on n’a plus de nouvelles. Mais tant que la personne est avec nous, elle avance petit à petit.
Ce projet vous a-t-il poussé à modifier vos pratiques ?
Pas vraiment de changements, mais plutôt des rapprochements, des échanges plus réguliers avec nos partenaires, qui n’osaient pas forcément nous solliciter quand ils avaient un doute ou une personne qui avait besoin d’être rassurée, par exemple en échangeant directement avec la formatrice ou la coordinatrice. Notre idée de départ c’était vraiment que les structures ou les partenaires sachent ce qu’on fait et qu’ils aient le réflexe de nous contacter. Pour cela, il faut régulièrement faire des piqûres de rappel, répéter les actions, parce que les équipes changent, qu’il y a toujours de nouvelles personnes à sensibiliser.
Donc on va essayer d’être plus présents auprès d’eux pour mieux expliquer, pas forcément pour faire la promotion de nos services. On n’a pas spécialement des outils à leur proposer, mais plutôt des conseils. Par exemple, comment ils peuvent se créer un support comme une petite fiche d’identité pour aider au repérage. Ou sans aller trop loin, faire un petit jeu de société avec les personnes pour évaluer leur niveau. Mais pas avec un groupe trop nombreux parce que ça les mettrait en difficulté.
Quels ont-été vos résultats ?
De fin octobre 2022 à fin décembre 2023, soit environ quatorze mois, nous avons repéré dix personnes. Sur notre territoire, ça n’est pas rien. Pendant les six premiers mois, on s’est focalisé sur l’axe un, le repérage, le développement des partenariats. Ensuite, on a pu agir sur l’entrée en formation, que ce soit sur HSP ou sur d’autres actions comme « le français pour chacun. » Aujourd’hui, on poursuit les échanges avec les partenaires en leur disant de ne pas hésiter à nous appeler, à prendre contact avec nous, parce qu’il y a forcément des personnes qui passent entre les mailles du filet.
Cet article est publié pour le compte de « La Place », la plateforme collaborative créée par la DGEFP, dédiée aux acteurs du Plan d’Investissement dans les Compétences et du PACTE de la Région Nouvelle-Aquitaine :