
L’idée de la création d’une école de production à Cognac existe depuis 2019, date de la création de celle de Limoges (notre article de mai 2019). Cette réflexion, alors tout juste entamée, a été mise en sommeil pendant la crise sanitaire. Elle a repris en raison des attentes exprimées par les industriels et du manque de solutions locales offertes aux jeunes. En octobre 2023, elle a débouché sur la création de l’association Ecole de Production de Chaudronnerie de Cognac, qui donne corps au projet « Fer ensemble » avec toutes les parties prenantes, sous l’impulsion de Grand Cognac et de l’UIMM, suivis par l’État et la Région.
Le choix a été fait par les partenaires de consacrer l’école au métier de chaudronnier, pour s’aligner sur les besoins des entreprises dont les carnets de commande justifieraient l’embauche de dizaines de chaudronniers dans l’industrie, notamment aéronautique. Mais aussi dans l’agroalimentaire, particulièrement les spiritueux pour la fabrication des cuves et d’alambics, des échangeurs des chaudières, etc. Les besoins résident également dans la chaudronnerie agricole, notamment la fabrication de remorques et pulvérisateurs.
« Le problème avec la formation en chaudronnerie, c’est qu’à l’issue de leur cursus, les jeunes ne sont pas opérationnels » explique Maxime Gacher, directeur de « Fer ensemble ». « Les industriels sont prêts à embaucher des jeunes, mais ils estiment qu’ils manquent de pratique. Et comme nous n’avions pas de formation sur le territoire, il fallait trouver une solution hors apprentissage, parce que les entreprises n’avaient pas forcément l’intention de prendre des mineurs. » Une formation hors apprentissage, basée sur la pratique et les activités concrètes, la solution école de production apparaissait comme le choix le plus adapté.
« Ma première mission était de monter le dossier de « pré label », sorte d’autorisation à ouvrir une école. Ensuite on a recruté Julien Delagarde, notre professeur d’atelier. Nous avons récupéré un bâtiment qu’il a fallu modifier, commander les machines, expliquer le concept, etc. Finalement le montage de l’école s’est fait très rapidement, entre mai et octobre. » Le plateau technique, composé de machines de dernière génération, a été financé par la fondation Total Énergies. L’UIMM et l’Union Patronale de la Charente apportent leur appui juridique sur la rédaction de contrats, ainsi qu’un complément de financement.
Mobiliser des partenaires
L’association a également été accompagnée par la banque des territoires et par l’entreprise Verallia qui lui a fait bénéficier d’une convention de revitalisation. En tout, elle disposait d’une enveloppe suffisante pour effectuer les travaux nécessaires et assurer le fonctionnement de sa première année. « Pour réussir, on sait que la mobilisation des entreprises et des collectivités est indispensable. Les trois premières années sont des années d’amorçage et de stabilisation. En fin de cinquième année, on pourra envisager de poursuivre notre développement et ouvrir un nouveau métier. »
Le message que veut faire passer « Fer ensemble », c’est qu’elle est un outil de territoire, que son ambition est d’accompagner des jeunes à qui l’école ne convient plus et qui ont besoin de travailler avec leurs mains, d’apprendre différemment. Les partenaires sont intéressés parce qu’ils voient des portes de sortie pour leurs jeunes, par exemple des classes de Segpa.
Au départ, le nombre de places avait été évalué à huit, un chiffre raisonnable pour une première année d’enseignement et pour éviter les problèmes de discipline. La première promotion d’octobre dernier était finalement constituée de onze jeunes, pas toujours initialement intéressés par la chaudronnerie, ni particulièrement motivés, mais qui n’avaient plus envie d’aller en classe. Environ la moitié sont issus de QPV, déscolarisés pour l’essentiel. D’autres pouvaient poursuivre une scolarité classique en lycée, mais ils auraient probablement décroché eux aussi. Quelques places ont été volontairement gardées pour des mineurs non accompagnés.
Le repérage est effectué en lien avec la mission de lutte contre le décrochage scolaire du rectorat et le CIO, qui vont détecter des candidats en classe de 3e. Le public mission locale est un peu trop âgé, mais il peut venir découvrir le métier dans le cadre de visites avant d’être dirigé vers des organismes comme le Greta. « Aujourd’hui notre processus de recrutement est un peu différent. Les élèves que nous aurons l’année prochaine, nous les accueillerons en stage avant, ce qui nous permettra de juger leur motivation, qui est notre unique critère d’admission. Ils auront été informés, et seront déjà un minimum intéressés par la chaudronnerie. »
Les jeunes préparent un CAP en deux ans avec un programme mixte, un tiers de théorie (maths, langues, arts appliqués, français) et deux tiers de pratique. Sept semaines sont consacrées aux stages, quatre à l’extérieur, trois à l’intérieur de l’école. Ils passent donc l’essentiel de leur temps en atelier, n’étant pas très réceptifs au format scolaire. « Fer ensemble » ressemble trait pour trait à une entreprise, dans laquelle les jeunes disent se sentir bien.
La théorie a tout de même sa place, mais elle est limitée à des notions immédiatement utiles, de manière que les élèves connectent peu à peu les différentes notions et créent leurs propres cartes mentales. L’école s’efforce de mettre en place des parcours individuels adaptés en maths, en français, en fonction des lacunes de chacun. Elle a l’obligation de remplir le socle commun de compétences, de leur assurer un niveau minimal équivalent à un niveau seconde, pour qu’ils puissent éventuellement intégrer ensuite une première en bac pro.
Partir des besoins des entreprises
L’élaboration de la pédagogie a consisté d’abord à recueillir les besoins d’une dizaine de chaudronneries locales, et d’intégrer des compétences supplémentaires au référentiel existant, d’en faire un référentiel métier propre au territoire, une sorte de « surcouche locale », notamment sur la fabrication d’alambics qui est un vrai savoir-faire local. Son idée générale est de travailler de manière inversée : on fait, ensuite on explique. « Les jeunes qui sont rentrés en octobre, dès le premier jour, ils étaient sur les machines. Nous commençons par leur donner la culture de la matière. Il faut qu’ils puissent expérimenter des choses, se tromper, recommencer. En tant qu’enseignants, on leur apporte une petite bribe de théorie par-dessus. On est vraiment sur un cycle : vous essayez, on vous communique une information, on assemble tout ça et on essaie à nouveau. Au quotidien, on cherche à s’affranchir complètement du référentiel. En apprenant aux jeunes à évoluer en entreprise de manière déconnectée de l’école, nous faisons déjà la moitié du travail. »
Une des difficultés des écoles de production est de prévoir les commandes à venir. Les « temps creux » sont alors consacrés à faire du renforcement. Le discours tenu aux entreprises est que la formation prépare des jeunes à être des chaudronniers généralistes, charge aux entreprises de les spécialiser après les avoir embauchés. « Nos jeunes entrent en première année et restent au minimum deux ans. Le problème c’est qu’à dix-sept ans, ils ne sont toujours pas employables dans l’industrie. On voudrait leur proposer un parcours avec au moins une année de plus, peut-être un deuxième CAP sur un titre pro. On les garderait entre deux et trois ans chez nous. »
L’apprentissage des savoir-être fait aussi partie du programme. Dans le fonctionnement de l’école, les jeunes ont différentes tâches à effectuer, par exemple le ménage. Au début, cela nécessite de leur imposer une certaine discipline pour avoir des ateliers propres, pour qu’ils s’expriment correctement, disent bonjour en arrivant le matin, toutes choses que l’on attendra d’eux dans une entreprise.
Ensuite vient l’emploi qui les attend en fin de parcours. « Les employeurs viennent toujours un peu avant la séquence de stages à l’extérieur pour détecter les jeunes qu’ils accueilleront. Les entreprises qui nous accompagnent depuis le début participent en nous passant des commandes, elles nous proposent des visites, nous mettent à disposition des véhicules. Elles sont vraiment impliquées dans le projet. »
Pour le futur, l’association réfléchit à plusieurs formules, comme des parcours sur quatre ans, en multi diplômes. Peut-être aussi proposer une quatrième année en apprentissage pour les 17-18 ans qui ont besoin de gagner de l’argent tout en étant formés correctement. Le fait d’avoir des équipes multi niveaux et polyvalentes permettrait également de répondre à des demandes plus complexes.
« Notre idée est de négocier comme il faut la montée en charge. Ce qui implique de changer de bâtiment à un moment, parce qu’aujourd’hui on est un peu à l’étroit si on veut à terme accueillir quarante chaudronniers. C’est un projet qu’on est en train de travailler avec le Grand Cognac. Le deuxième projet, c’est de réunir des professionnels pour identifier un autre métier en tension sur le territoire, afin d’essayer de voir comment on pourrait apporter des solutions. C’est un chantier qu’on envisage à l’horizon 2028. »