Convergence, à l’appui des chantiers

Paroles d’acteurs

L’histoire de Convergence débute en 2007 sur les quais du canal Saint-Martin à Paris, avec l’opération très médiatisée d’installation de tentes destinées à loger des sans-abris. À l’époque, la ville de Paris a accepté la proposition d’Emmaüs France d’accompagner ces personnes via un dispositif d’insertion par l’activité économique, dans le but de trouver une place dans la société. Au regard des résultat de cette action, l’État a aussi manifesté son intérêt d’essaimer le même programme sur d’autres territoires. L’association Convergence France est née de cette volonté.

Aujourd’hui, cette approche est développée sur une douzaine de territoires. Au démarrage, c’étaient des territoires urbains à l’image de l’expérimentation parisienne. Puis l’État a sollicité l’association nationale pour savoir si le programme pourrait être déployé sur un territoire « moins dense » sous réserve de l’accord des acteurs locaux. La Charente a été sélectionnée pour porter la première expérimentation Convergence et Premières heures en chantier sur ce type de territoire.

Territoire moins dense ne rime pas exclusivement avec ruralité. Aujourd’hui, le collectif Convergence Charente couvre tout le département, y compris des zones urbaines. La précarité sur ces territoires ne passe pas entièrement par le sans-abrisme, la raison d’être de Convergence est de se tourner vers les plus fragiles, qu’ils soient à la rue ou en habitat très précaires.

S’adresser aux plus précaires

Convergence Charente a débuté ses actions en 2021. Le collectif s’est construit au fur et à mesure. Il compte aujourd’hui sept chantiers d’insertion pour 280 salariés accompagnés. En entrant dans ce collectif, les structures bénéficient d’un renfort et de budgets pour accompagner au mieux leur public. En échange de cela, elles s’engagent à mobiliser des personnes plus précarisées que celles qu’elles reçoivent habituellement.  Pour Brigitte Stroh, coordinatrice, « ce sont des gens très éloignés de l’emploi, avec de nombreux freins. Ils ont parfois des addictions, des problématiques de santé mentale, des problématiques de handicap plus fortes que dans la population qu’elles ont en temps normal. En résumé, un public plus en désinsertion sociale. »

L’apport de Convergence prend différentes formes. D’abord, l’association alloue un budget à chaque chantier pour qu’il renforce ses moyens d’accompagnement. En général, un ASP accompagne entre 30 et 40 personnes. Sauf dans les plus petits chantiers. Grâce à cette aide, le ratio de salariés suivis par accompagnateur est divisé par deux. « À partir du moment où un accompagnateur diminue d’à peu près 50% le nombre de gens accompagnés, cela veut dire qu’il a plus de temps à accorder à chaque personne. C’est obligatoire compte tenu du public visé, qui rencontre beaucoup de freins à l’insertion professionnelle. L’autre idée est d’effectuer un accompagnement global et concerté avec l’intégralité des acteurs, par exemple des entretiens tripartites avec le prescripteur, le Centre d’hébergement et de réinsertion sociale, l’assistante sociale et France travail. »

Deuxième type de renfort, l’équipe Convergence Charente, portée par l’Association Régie Urbaine d’Angoulême. En plus de sa coordinatrice, elle est composée de trois chargées de partenariats qui interviennent en appui des chantiers pour les aider à initier des partenariats avec des acteurs locaux et des entreprises, une prospection qu’ils n’ont pas toujours le temps d’effectuer. Une chargée de partenariat peut faire l’interface entre un employeur qui cherche à recruter, et les chantiers qui peuvent avoir des profils à leur présenter. L’équipe Convergence Charente n’interfère pas dans le fonctionnement des structures, qui gardent leur autonomie.

« Tous les mois, nous organisons une réunion des directions des chantiers. On évoque différents sujets, des actions à mettre en place, des ajustements, des bonnes pratiques. On communique aussi avec les autres territoires de France pour éventuellement s’inspirer de ce qu’ils mettent en place. De la même manière les chargées de partenariats animent des réunions entre ASP, pour des échanges de pratiques, pour rencontrer un autre partenaire, etc. »

Les principes de Convergence France qui consistent à aller chercher les publics les plus précarisés et leur proposer un accompagnement global et concerté, incluent aussi la possibilité pour un salarié de rester sur un chantier d’insertion pendant cinq ans au lieu de deux.  Quelle que soit la durée de sa présence, il bénéficie d’un an de « post-parcours », pendant lequel il reste en contact avec son ASP afin de poursuivre la levée des freins qui ne l’auraient pas complètement été à la sortie du chantier.  

Autre programme proposé, baptisé « Premières heures en chantier. » Il est porté par l’Association Régie Urbaine d’Angoulême et Croix-Rouge insertion (Maia et Charente). Il s’agit d’un programme très particulier qui consiste à proposer à des personnes en situation de sans abrisme ou en habitat précaire, de franchir une première marche vers l’insertion professionnelle par quelques heures en immersion dans un chantier. Ils commencent par quatre heures de présence, sans objectif de productivité mais en étant associés à la production. Le but est qu’ils renouent un lien social et professionnel. Pendant un an, la personne augmente progressivement ses heures, idéalement jusqu’à une vingtaine par semaine.  

Un engagement fort des chantiers

« Pour que les principes des programmes soient appliqués, c’est toute la structure qui doit s’engager, la direction, les ASP, les administratifs. Si tout le monde n’est pas « embarqué », il peut y avoir des tiraillements entre la production, les encadrants techniques et les ASP, parce que ces derniers vont venir plus souvent qu’à l’habitude enlever les salariés de l’outil de production. Nous savons que c’est très exigeant pour les gens qui sont en opérationnel. »

« Si ça n’est pas accepté, en général le chantier finit par sortir du dispositif ». En effet, une structure qui s’engage sur les programmes de Convergence France doit modifier ses pratiques d’accompagnement et d’encadrement, afin d’accompagner un public sans-abri, ayant connu la rue ou en situation de grande précarité. Cet attachement à cibler ce public, qui n’a généralement pas accès aux structures d’insertion, est une des raisons d’être de Convergence France, ce que revendique l’association.

L’engagement des chantiers d’insertion va bien au-delà de l’attribution d’un budget supplémentaire. Ils reçoivent du soutien mais en contrepartie d’un volume d’accompagnement. Selon leurs dires, les plus anciens chantiers ont eu la sensation de revenir aux fondamentaux de l’insertion par l’activité économique. Ils constataient une certaine dérive vers beaucoup plus de production, ce qui les rendaient un peu trop proches du milieu ordinaire. Intégrer le collectif Convergence, c’est revenir aux fondamentaux, investir à nouveau la dimension sociale de l’insertion économique.

La méthode Convergence vise la transformation des pratiques au service d’une transformation du public accompagné. Chaque chantier garde son identité et conserve la maîtrise de ses actions. En revanche, la posture et la manière de travailler se doivent de converger. Cela n’implique pas un changement complet de leur culture mais la nécessité d’intégrer un nouveau mode de fonctionnement. C’est le collectif qui décide de la meilleure façon d’avancer ensemble pour respecter les objectifs. Chaque chantier utilise ses propres supports d’activité, mais a toujours la possibilité d’intégrer les pratiques des autres.

« Nos chantiers partenaires ont la sensation de pouvoir faire un accompagnement de qualité y compris avec les plus éloignés de l’emploi. Ils mettent également en avant la rupture de l’isolement professionnel. C’est surtout vrai pour ceux qui sont situés en ruralité, ils disent que c’est un gain énorme pour eux. Ils apprécient d’avoir ces points de rencontre avec les autres structures, et de bénéficier du soutien des chargées de partenariats quand ils rencontrent un problème ou qu’ils ont un dossier bloqué. »  

Convergence Charente est en expérimentation jusqu’à la fin 2027, dans le cadre du Pacte des Solidarités. Le collectif reste confiant ce sur le fait que le programme sera pérennisé dans le cadre de la loi contre la très grande pauvreté.