Aux racines de l’insertion

Paroles d’acteurs

L’Association Lieux Accueil Insertion Jardins Environnement (Alaije) est située à Brantôme en Périgord (Dordogne), dont Fabrice Suau est le directeur. Elle compte notamment le « jardin botanique d’insertion », un atelier chantier d’insertion (ACI). En 2024, elle a présenté un dossier à l’AMI O2R, pour le compte d’un consortium regroupant d’autres structures d’insertion du département. Annabelle Bravin est accompagnatrice socio-professionnelle et référente du dispositif baptisé « Mobilis’actions. »

Quelle est l’origine de Mobilis’actions ?

Nous faisons partie du Collectif Relais Insertion Dordogne (CO.R.I.DOR). On a l’habitude de se rencontrer régulièrement pour mettre en place des projets communs. L’ami O2R a été évoqué lors d’une de ces réunions, et plusieurs structures du collectif se sont montrées intéressées, puisque cela correspondait à des missions connexes à nos métiers. Nous avions des compétences et des savoir-faire, comme l’AFAC 24 qui menait déjà un projet similaire auprès des jeunes. On trouvait pertinent de nous engager dans ce projet pour aller toucher ces publics profil O2R, pour lesquels nous n’avions pas de solutions parce qu’ils n’étaient pas disponibles immédiatement pour un contrat d’insertion. On ne disposait pas d’une sorte de sas pour les accompagner.

Vous voulez dire que vous avez dû vous adapter à de nouveaux profils ?

Notre réponse se base sur des publics dont la particularité est qu’ils ne sont pas inscrits à France Travail, ni bénéficiaires du RSA. Donc d’ores et déjà, ils ne peuvent pas, en principe, être orientés chez nous. On voulait pouvoir intégrer ces personnes en fonction de leur projet. À la marge, certaines pourraient correspondre à nos profils d’ACI, mais globalement la majorité des gens que nous visons ne sont pas prêts à intégrer une structure d’insertion. Ils ont besoin d’une phase de remobilisation et de levée des freins, avant de signer un contrat.

Comment avez-vous abordé le repérage ?

Nous ne faisions pas du tout de repérage au sein de notre atelier chantier d’insertion. On n’allait pas chercher les salariés, puisqu’ils nous étaient orientés. Quelques candidatures spontanées nous étaient adressées, des profils non-inscrits, que l’on redirigeait vers le service public de l’emploi. Avec O2R, pour mener notre repérage, nous avons commencé par créer des supports de communication communs au consortium, pour expliquer ce qu’on proposait en matière de remobilisation et d’accompagnement. Nous avons présenté le dispositif à des partenaires qui pouvaient avoir ce type de public dans leurs effectifs, que ce soient des assistantes sociales, des communes, des associations caritatives, des centres sociaux, des accueils jeunes, des missions locales, etc.

Quelle est votre approche ?

Notre stratégie est plutôt basée sur les partenaires. Nous partons du principe que la relation existe déjà entre eux et leurs usagers, nous ne voulons pas nécessairement interférer. Notre souhait, c’est que le partenaire comprenne bien l’enjeu du dispositif, transmette l’information et, si possible, travaille l’adhésion de l’usager. Nous intervenons ensuite pour proposer une rencontre dans un lieu adapté, le site d’une association, un centre social, etc. Nous pensons que ça a beaucoup plus de sens de passer par la relation en cours. Dans le principe, nous préférons que ce soit la personne qui vienne vers nous, et nous nous rendons disponible pour elle. 

Où se déroulent vos entretiens ?

Dans un lieu neutre, une association, mais ça peut aussi être dans nos locaux. Si nécessaire, on peut aller chercher les gens chez eux. Chaque structure effectue son propre repérage. On est répartis géographiquement, sur l’ensemble de la Dordogne, on est assez éloignés les uns des autres et donc on repère sur nos territoires respectifs. Chacun gère toutes les actions sur son territoire. On partage des outils, on a des échanges, mais après chaque pro a son approche, sa méthode et gère toutes ses actions sur son territoire. Il faut surtout que ça ait du sens pour les bénéficiaires, qu’ils soient reçus par un intervenant de proximité.

Avez-vous des limites en matière de durée du repérage ?

Au bout de six mois de déploiement, nous n’avons pas assez de recul. Pour certains nous savons que ça peut prendre du temps, mais que potentiellement ils nous recontacteront. C’est à eux de prendre la décision. Si nous n’avons pas de nouvelles, nous les relancerons sans doute. Le plus important est de poursuivre la mise en confiance, rassurer la personne, se voir sur un autre lieu, susciter son adhésion. Il faut lui laisser le temps de maturer, on essaie d’apprécier ça en fonction de la personne.

Comment se fait l’accueil dans le dispositif ?

Une personne est dans le dispositif à partir du moment où il y a eu contractualisation officielle. Au début on a tâtonné parce qu’on devait composer avec des problématiques administratives O2R. Maintenant on essaie de signer avec la personne aussi rapidement que possible, après deux ou trois rendez-vous. On lui demande de se rendre disponible sur des temps réguliers, c’est la première étape. Et de se contraindre à participer à des temps collectifs coconstruits, sur la base de leurs centres d’intérêt. On essaie de faire le lien avec nos supports. S’il n’y en a pas, on propose des activités entièrement différentes.

Vous organisez des temps collectifs ?

Certaines structures du consortium organisent déjà des ateliers de remobilisation, elles possèdent ce savoir-faire. Ce n’est pas quelque chose qui nous est inconnu. Pour l’instant, on n’a pas eu besoin de solliciter de partenaires extérieurs. Nous proposons des temps d’ateliers communs en regroupant plusieurs bénéficiaires, sans leur imposer. Il nous paraît difficile de réfléchir à un fonctionnement de groupe sur la durée du parcours, on ne cherche pas à créer une dynamique de promo. Et compte tenu du rythme des entrées sorties, on ne peut pas juger du nombre de personnes que nous aurons à un moment donné. Le principe d’un suivi individuel, avec ponctuellement des temps collectifs, pour l’instant c’est la formule la plus adaptée.

Ces temps ne pourraient-ils pas être organisés au niveau du consortium ?

Avec les acteurs du territoire, on s’est questionné sur la mise en commun des ateliers de remobilisation, en fonction de ce que chacun sait faire, des besoins des gens. Mais en pratique les temps collectifs communs sont difficiles à imaginer, notamment à cause des distances. Entre Bergerac et nous, c’est un heure quinze de route. À terme, ce sont des choses qui vont peut-être émerger, nous pourrons nous appuyer sur des compétences très spécifiques de certaines structures, comme la médiation équine chez APES 24. On pourra peut-être constituer des groupes à l’échelle du département.

Qu’en est-il de la remobilisation ?

Pour nous, tout est remobilisation. À partir du moment où la personne vient aux premiers entretiens, elle est déjà dans la remobilisation et l’accompagnement. Même si on se rencontre pour parler d’un problème administratif. Dans notre méthodologie, on travaille tout à la fois, la levée des freins, les difficultés de santé, administratives, de logement, de mobilité. Et, en parallèle, on fait des activités ensemble. Si on voit que parler d’emploi trop vite risque de faire perdre la relation, on va un peu décaler. Si on peut réduire la durée globale d’accompagnement, ça nous permettra de recevoir plus de personnes.

Est-ce que vous cherchez à faire passer les bénéficiaires par vos structures d’insertion ?

Ça dépendra des cas. Pour certains, il nous semble nécessaire de profiter de cette continuité d’accompagnement que propose un chantier ou une entreprise d’insertion. Cela peut être un moyen de poursuivre la levée des freins si elle n’a pas été complétée. Et aussi de s’assurer que les personnes peuvent être à l’heure, respectent des consignes, admettent l’autorité, en travaillant ces aspects en interne pour que la personne soit la plus employable possible à l’avenir. Pour ces publics, passer d’une inactivité longue à un rythme à 35 heures, c’est compliqué. Donc le passage en SIAE permet de temporiser, et sécuriser le parcours. Mais ça ne sera pas le cas pour tout le monde.

Quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés ?

Pour Alaije, on vise des volumes d’accompagnement modestes, un objectif de quatre accompagnements par an. Pour l’ensemble du consortium, on est pour l’instant sur une dizaine d’accompagnements. La remobilisation et l’accompagnement se font étape par étape, en visant la levée d’un frein en particulier, en sollicitant un partenaire hors consortium qui peut nous aider à le faire, un centre social ou autre. C’est un peu la culture que nous avons déjà avec l’ACI. On traite tout ce qui entre dans nos compétences, et dès que c’est plus de notre ressort, on oriente vers des partenaires. Ce qui nous guide dans tous les cas, c’est l’intérêt de la personne.

Depuis le démarrage du dispositif, avez-vous eu des surprises ?

La plupart des retours des partenaires sont positifs. C’était un peu un pari, on se demandait si on allait pouvoir repérer et capter des profils. Et si on allait pouvoir les faire adhérer à la démarche. Mais les retours sont bons, parce que ça répond à un vrai besoin.  La dimension rémunération ajoute beaucoup à la balance aussi. Sur les personnes rencontrées, au moins la moitié ont des pathologies, des difficultés cognitives, des troubles du neuro développement, ou des psycho pathologies, on ne s’y attendait pas spécialement. C’est un vrai handicap pour l’accès à l’emploi, parce que ce sont des gens très perturbés. Mais notre constat reste parcellaire, compte tenu du nombre limité de gens repérés et de ceux qui sont entrés en accompagnement.

Cet article est publié pour le compte de « La Place », la plateforme collaborative créée par la DGEFP, dédiée aux acteurs de l’AMI O2R et du PACTE de la Région Nouvelle-Aquitaine :

https://www.cap-metiers.pro/pages/552/Place.aspx