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Paroles d’acteurs

L’APEJ nait à Cognac en1986. Elle a déployé ses actions sur Cognac et l’ouest Charente jusqu’en 2008, date à laquelle la DDTEFP de Charente Maritime lui demande d’intervenir en tant qu’Atelier de Pédagogie Personnalisé (APP) sur le territoire de Saintes. En 2024, l’association répond à l’AMI O2R avec son projet « REVES », pour « Remobilisation Vers l’Emploi et la Socialisation. Enrico Malloci, adjoint de direction, supervise le consortium constitué à cette occasion.

D’où vient votre projet REVES ?

Avant O2R, nous avions créé une action expérimentale « Inter’actions » (voir notre article du 10 avril 2024). En 2024, on a accompagné à peu près 50 personnes sur Saintes, repérées avec les acteurs du SPE mais aussi tous les partenaires du territoire, l’épicerie sociale, les élus, etc. on a mis dans la boucle tout le monde et on a réussi à capter des personnes vraiment isolées qui aujourd’hui, grâce à cet engagement progressif basé sur leurs centres d’intérêt, ont construit des projets. Nous avons eu des résultats spectaculaires de retour à l’emploi, d’entrée en formation, de retour à la vie normale. Le cahier des charges de l’appel à manifestation O2R portait sur des axes que nous avions mis en place dans Inter’Actions, et forts des résultats de ce dernier, nous avons pensé à la mise en œuvre d’un dispositif similaire tout en tenant compte des spécificités d’O2R. 

Quelle est la nature de votre proposition ?

Avec l’appel à manifestation O2R, l’Etat souhaitait mettre en œuvre un dispositif qui réponde parfaitement aux contraintes et aux exigences des publics très éloignés de l’insertion sociale et professionnelle. L’APEJ, ainsi que toutes les structures du consortium, chacune avec ses spécificités, ont dans leurs missions de toujours accompagner les publics très fragiles, notamment les bénéficiaires du RSA. Nous connaissons bien leurs problématiques d’isolement, leurs freins multiples, leurs difficultés à se projeter et à aller de l’avant. On s’est positionné tout naturellement sur la Charente pour aller plus loin, pour aller chercher des invisibles, des personnes vraiment isolées qui ne sont pas forcément connues des acteurs institutionnels. Sur la Charente-Maritime, nous étions engagés sur le dispositif CEJ-JR jusqu’à la fin de l’année 2024. Pour nous c’était assez naturel de répondre à O2R, on a historiquement assuré les missions préconisées, c’est-à-dire le repérage, l’engagement progressif des personnes à partir de leurs centres d’intérêt, l’accompagnement individualisé de chaque bénéficiaire, tenant compte des spécificités de chacun.

Comment abordez-vous le repérage ?

Le repérage est l’étape essentielle pour le fonctionnement du dispositif O2R. Pour que le repérage soit efficace, il est essentiel que les structures soient fortement ancrées sur chaque territoire. Il est important de bien connaître son territoire d’action, ses atouts, ses problématiques, ses acteurs. Ainsi que de vivre son territoire, sa ville, d’interagir en complémentarité avec les autres acteurs. Ces éléments sont à la base d’une action de repérage réussie. Nous devons aller à la rencontre des publics les plus fragiles. C’est d’ailleurs une des spécificités de ce dispositif qui fonctionne en coopération du SPE, mais qui ne s’appuie que de manière sporadique sur la prescription directe. À cette étape le hors les murs est fondamental. Nous allons à la recherche, à la rencontre des personnes dans les lieux qui sont les leurs. On ne va pas forcément leur proposer un rendez-vous dans nos locaux. Certaines personnes isolées, loin de l’insertion, n’ont pas toujours confiance dans les institutions. Même faire un pas vers un organisme de formation, rentrer dans un bureau, peut être très compliqué. On peut ainsi leur proposer une rencontre au centre social, à la maison France service, au PMU du coin, au café solidaire, etc. L’idée est tout d’abord d’établir une vraie relation de confiance avec le futur bénéficiaire, faire en sorte que la personne se sente tout d’abord écoutée, qu’elle ne se sente pas piégée. Cela peut prendre quelques mois. Une fois cette relation de confiance est établie, bien souvent la personne va s’engager progressivement. Elle va commencer par exemple par une demi-journée par semaine, puis deux, et au bout de trois mois, elle viendra peut-être tous les jours. Les bénéficiaires apprécient d’avoir cette souplesse dans l’accompagnement. Nous essayons de leur proposer une prestation qui leur convienne, on cherche véritablement à ce que RE.V.E.S. leur apporte du rêve.

Quel est le rôle des partenaires de votre consortium ?

L’APEJ a comme valeur historique de travailler en complémentarité des autres acteurs du territoire dans la formation et dans l’accompagnement des publicsIl faut préciser que les publics ne nous appartiennent pas. Ils se trouvent sur des territoires où agissent différents organismes, chacun avec leurs compétences et leurs actions propres. Nous sommes là pour travailler en complémentarité, sans quoi rien ne peut se faire. L’ADN de l’APEJ n’est pas de travailler seule, mais avec des acteurs fiables, qui s’impliquent dans d’autres domaines et qui portent aussi des actions différentes et complémentaires des nôtres. La formation et l’accompagnement à l’insertion sociale et professionnelle sont nos principales missions. La remobilisation et l’accompagnement à l’insertion des publics sont parmi nos activités principales. Du fait de notre ancrage, nous sommes identifiés sur le territoire ce qui nous permet de capter des publics en difficulté et isolés. Pour le repérage nous nous appuyons également sur notre réseau, nous sollicitons les partenaires pour aller à la rencontre des publics qui ne sont pas connus.

L’APEJ porte le consortium O2R pour RE.V.E.S. Ce consortium compte plusieurs partenaires : l’organisme de formation Hommes et Savoirs, la fondation des Diaconesses de Reuilly, le centre social de Marne-Yeuse, l’association Saint Fiacre. Ainsi que Tremplin 17 qui assure le volet repérage. Les autres opérateurs interviennent sur les volets remobilisation et accompagnement à la levée des freins dans un premier temps et vers l’insertion sociale et professionnelle par la suite.

A quel moment faites-vous entrer une personne dans la remobilisation ?

Dans la phase où la personne n’a pas encore signé de contrat avec nous, elle peut déjà participer à des ateliers de remobilisation. Ce qui peut contribuer à son engagement durable. En quelque sorte, on est en même temps sur la phase repérage et sur la phase de remobilisation. Au début, le plus important est qu’elle trouve des objectifs pour sortir de chez elle, qu’elle ose passer la porte pour rencontrer d’autres personnes, qu’elle participe à un atelier, en informatique par exemple. Participer à un atelier collectif peut ne pas être simple. Formaliser ses difficultés, se mesurer au regard de l’autre, peuvent être sources d’appréhension.  Mais finalement, en participant à un atelier la personne pourra se rendre compte qu’elle n’est pas seule à rencontrer des difficultés, que l’animateur ne juge pas, qu’il est dans une posture d’écoute et de bienveillance. On commence à identifier ses propres compétences, à les valoriser. Depuis 2019, nous avons aussi développé des badges numériques. Grâce à des ateliers de pratique réflexive où l’on analyse les activités que les personnes réalisent dans le cadre des ateliers de remobilisation, on travaille à l’identification des compétences. Le but est d’emmener la personne à prendre du recul, à se « regarder pédaler » à observer toutes les compétences qu’elle mobilise. À travers la constitution de dossiers de preuves, selon la forme qu’elle préfère, (écrits, photos, vidéos, un poème, etc.) la personne valide un badge, qui certifie les compétences de plus en plus complexes qu’elle a mobilisées. L’estime et la confiance sont boostées et la personne s’engage alors progressivement sur des parcours plus intenses et longs et commence à se projeter sur son avenir.

Faut-il comprendre que vous ne cherchez pas forcément à distinguer les différentes phases ?

Il faut qu’on soit souple, on sait qu’on va devoir s’adapter. Un groupe est fait d’individus totalement différents. La dynamique collective peut être très bonne à un moment, et redescendre à un autre. On doit avoir un plan B, même un plan Z. Deux personnes ne font pas le même parcours, n’ont pas les mêmes problématiques, les mêmes objectifs, les mêmes centres d’intérêt, le même engagement de départ. Chacune a ses spécificités, on ne va pas leur proposer de suivre le même programme.

Quels sont vos outils de remobilisation ?

Nous avons des ateliers collectifs de diverses sortes. Ceux qui existent déjà sur le territoire, ceux qu’on propose en interne. On peut aussi créer des projets ad hoc parce que on s’appuie sur la volonté et sur les centres d’intérêts des personnes. Certains publics en grande difficulté, n’ont souvent jamais passé le seuil d’un cinéma, d’un concert ou d’un théâtre, de peur de ne pas se sentir légitimes, ils se disent que ça n’est pas pour eux. Je pense qu’il faut agir sur ces leviers-là, pour que les personnes s’épanouissent et qu’elles vivent leur existence.

La seule solution est-ce de faire du cas par cas ?

Dans la remobilisation, il y a une partie d’entretien individuel. Mais on ne s’est jamais passé de la dimension collective, c’est le principe même de l’APP. On sait que participer à un collectif peut être angoissant. Cette inquiétude ne passe jamais pour certains, et n’est qu’une phase initiale pour d’autres, malgré leurs freins. Il ne faut pas forcer les étapes, l’engagement est progressif. Il faut prendre le temps de présenter la démarche, créer des liens de confiance et attendre que la personne soit prête à entrer dans un parcours complet. Lors des entretiens, on peut voir des signes. Par exemple, quand une personne, au bout de quelques rendez-vous, prend soin de sa tenue vestimentaire, de sa coiffure, ce sont des signes déterminants, autant que les mots qu’elle peut nous confier. C’est le signe d’une reprise de l’estime de soi. C’est se valoriser, dire j’existe, je suis là.

Vous avez une sorte de programme commun entre structures ?

On peut retrouver certains ateliers dans différents territoires du consortium. Mais nous n’avons pas de programmation commune. Cela dit, elle pourrait être envisageable. Par exemple, un atelier proposé par l’APEJ sur un territoire pourrait être mutualisé sur un autre territoire. Chacun effectue également son accompagnement en fonction de son expérience, de ses compétences, de son approche. L’accompagnement individualisé est notre base commune.

Cet article est publié pour le compte de « La Place », la plateforme collaborative créée par la DGEFP, dédiée aux acteurs de l’AMI O2R et du PACTE de la Région Nouvelle-Aquitaine :

https://www.cap-metiers.pro/pages/552/Place.aspx