La surface de remobilisation

Paroles d’acteurs

Remise en jeu est, à l’origine, une histoire bretonne. Créée à Lorient en 2012, puis étendue un peu partout en Bretagne, l’objet de cette association est d’utiliser le sport pour remobiliser les jeunes en difficulté et leur redonner l’envie de se construire un avenir. Son fondateur Robert Salaün, a mené une longue carrière de professeur d’EPS et de footballeur, ainsi que d’éducateur sportif au sein d’un IME à Poitiers, auprès d’un public connaissant des difficultés à la fois psychologiques et mentales. Cette expérience de plusieurs années l’a convaincu que malgré leur handicap, ces jeunes avaient du potentiel et que ceux qui réussissaient en sport collectif s’en sortaient mieux dans la vie professionnelle.

« Quand vous faites du sport collectif tous les jours, il y a plein de choses que vous arrivez à gérer. Déjà, physiquement, vous êtes mieux. Un match de foot, c’est un travail psychomoteur qui agit au niveau de l’équilibre, de la coordination, de l’orientation dans l’espace et dans le temps. Tous ces éléments, vous les travaillez en permanence. De plus, quand vous voulez faire du sport collectif, vous devez savoir gérer vos émotions et votre frustration, parce que ça ne se passe jamais comme vous avez envie. »

C‘est après son départ à la retraite que Robert Salaün a décidé de passer de la théorie à la pratique en créant Remise en jeu. Son principe, partir de l’intérêt du jeune pour le football afin de le mobiliser et lui faire travailler tous les éléments nécessaires à une entrée dans la vie professionnelle. Alors qu’il n’a a priori que peu de motivation pour le monde du travail.

Le football comme matière principale

Toute la partie physique est basée sur le football, mais également les cours de français (les articles de l’Equipe et de France football), de mathématiques (les classements, la durée des matches), de géographie (où se trouvent les clubs français et européens ?). Il existe une corrélation entre ce qui se passe sur un terrain et ce qui se passe en cours. « Un gamin qui a un ballon dans les pieds et qui veut faire une passe a le même problème, sur le plan mental et psychomoteur, que celui qui tient un crayon et qui veut tracer des lettres. La trajectoire de la passe ou la lettre est déjà dans sa tête, avant qu’il réalise l’action ».

La formation dure huit mois, elle est suivie par des groupes d’une quinzaine de jeunes de 16 à 25 ans, et débute généralement en octobre-novembre, pour se terminer en mai.  Le parcours compte deux grandes périodes distinctes. Les quatre premiers mois consistent en une immersion complète, avec une discipline de vie assez stricte pour des jeunes plus habitués à se coucher à trois heures du matin qu’à être présents sur un terrain à neuf heures. La journée est consacrée à la remise à niveau scolaire et à un premier travail sur le projet professionnel.

À partir du quatrième mois est abordée plus en profondeur la dimension professionnelle, avec des visites et des stages en entreprise. « La grande majorité des jeunes qui sortent de chez nous sont envoyés vers les métiers du bâtiment ou de la vente. On en a aussi beaucoup qui s’orientent vers les métiers du sport, à qui on fait passer ou un CQP sport, ou un BPJES en alternance. En Bretagne, quelques-uns de nos éducateurs ont suivi toute la filière chez nous. Ils ont été stagiaires, ont fait un CQP sport en alternance puis un BPJEPS, avant d’être embauchés par l’association. »

Aucun profil type, les participants vont du MNA originaire d’Afghanistan ou d’Ukraine, au jeune de Guéret ou de Limoges qui a échoué à la faculté de sport et vient préparer un BPJEPS. Tous les parcours sont individualisés, le seul critère d’entrée est d’être un jeune en grande difficulté. Sur le plan sportif, pas de prérequis non plus, aucune obligation de savoir jouer au football ou même de pratiquer un sport régulièrement. Chaque plateforme constitue une équipe, dans laquelle il peut y avoir des footballeurs de très bon niveau et des jeunes qui n’ont jamais tapé dans un ballon. Le but est de créer un groupe où chacun trouve sa place.

« Dans ma carrière d’éducateur j’ai rencontré pas mal de gamins, et je n’en ai jamais vu deux pareils. Quand on a débuté, l’âge moyen des participants chez nous était autour de 21-22 ans. Aujourd’hui c’est plutôt de 17-18 ans. C’est peut-être dû au fait que les dispositifs d’accompagnement, par exemple à la mission locale, ont moins de problèmes à placer les publics avec une certaine maturité. Dans ce cas, ils ont moins besoin de nous, mais davantage pour les plus jeunes. C’est aussi le reflet de ce qui se passe ailleurs, y compris dans les lycées. »

Les filles représentent entre 10 et 15% des effectifs, à peu près la proportion des licenciées à la fédération de football. Si elles ne sont pas plus présentes, c’est en partie en raison d’obstacles culturels. Dans certaines cités à dominante étrangère, il leur est difficile de fréquenter des structures où se trouvent une majorité de garçons. L’association a tenté de trouver une solution, en mixant le football et l’équitation, pratique à dominante féminine. Mais sans succès. Cela dit, ses actions restent ouvertes aux filles, qui y réussissent très bien.

Quand l’association envisage de s’implanter sur un territoire, elle commence par contacter tous les clubs sportifs et leurs dirigeants, pas forcément que dans le domaine du football. Ensuite, elle contacte les CCAS, les éducateurs de rue, surtout dans les grandes villes, où il existe une proportion assez importante de jeunes suivis par les services judiciaires, SPIP et PJJ.  

Remettre les jeunes sur de bons rails

Le repérage effectué par ces partenaires permet de toucher les publics qui ne sont pas déjà suivis par d’autres opérateurs. Sur l’ensemble des plateformes Remise en jeu, un peu plus de 60% des participants sont inconnus des dispositifs d’insertion. Initialement, les missions locales, qui sont toujours associées, envoyaient des jeunes à Remise en jeu. Aujourd’hui, le circuit est en quelque sorte inversé, puisque les jeunes qui ne sont pas retenus par l’association sont redirigés vers une mission locale.

« Pour monter un groupe nous avons procédé de diverses façons. À une époque, on annonçait notre arrivée, on tenait des informations collectives, puis on recevait une trentaine de jeunes en entretiens individuels. Quand il fallait en choisir une quinzaine, nous n’avions pas de critères d’entrée. Maintenant, nous annonçons notre arrivée et nous prenons les quinze premiers inscrits. » Ce processus est plutôt efficace, puisque la présence en formation dépasse les 90%. Lorsqu’il y a abandon, c’est au tout début du parcours, parce que le jeune s’aperçoit que ce n’est pas un club de vacances, mais qu’on lui demande de travailler son endurance, sa vitesse, sa technique. Et ça n’est pas de tout repos, le rythme est parfois trop soutenu.

En Nouvelle-Aquitaine, Remise en jeu se déploie depuis 2023. Elle est présente à La Rochelle, Niort, Poitiers, Angoulême, Limoges et Guéret. Chaque structure compte au moins deux salariés, des encadrants titulaires d’un brevet d’état, pour accueillir une quinzaine de jeunes par promotion. De plus, un coordinateur est attaché à des trios de structures, il passe une journée par semaine sur chaque site. Il se charge du suivi individuel des jeunes, de leur évolution, des problèmes qu’ils peuvent rencontrer. Il effectue également la recherche des stages. Tous sont des permanents de l’association, qui compte aujourd’hui une cinquantaine de salariés.

L’association compte poursuivre son développement, en fonction des sollicitations. « Nous sommes en train de chercher d’autres approches. Par exemple, certains clubs importants de la Région nous ont contacté pour monter une structure en interne. Ils mettraient à disposition les deux éducateurs, et nous fournirions le contenu et la pédagogie. Et puis financièrement nous pourrions trouver un arrangement. Nous aurions très bien pu aller en Normandie ou en PACA, nous avons eu des demandes un peu partout. Mais nous restons une petite association, et pour aller plus loin, il faudrait qu’un opérateur plus important prenne la main. »