
Comme son nom le laisse entendre, une « Flashcoop » est une entreprise éphémère, qui propose à un petit groupe d’environ huit personnes de gérer une coopérative pendant une semaine. Le concept a été créé et déposé sous forme de label par des Coopératives d’Activité et d’Emploi (CAE) de Mayenne, pour lequel elles ont élaboré un cahier des charges très précis. C’est auprès de l’une d’entre elles, Coodem, qu’une CAE de Poitiers, Aceascop, s’est formée à la mise en place du dispositif et a mené les premières expérimentations sur le territoire de l’agglomération de Poitiers.
Ce projet a été porté par le groupement des CAE de Grand Poitiers dans le cadre de projets collectifs. Il a reçu un soutien important de la communauté d’agglomération, dont les élus ont immédiatement adhéré au principe. Trois actions ont été financées en 2023 et 2024, grâce également à des financements de l’Etat, de la Région Nouvelle-Aquitaine, et de la fondation du Crédit coopératif. C’est en raison de sa bonne connaissance du dispositif, qu’Aceascop a porté et animé ces trois Flashcoops au nom du groupement.
La première a rassemblé des jeunes décrocheurs scolaires de 16 à 25 ans, la deuxième des femmes éloignées de l’emploi, la dernière un groupe mixte. « Les publics accueillis sont des gens qui étaient sur le bord du chemin ou qui sont suivis par différentes structures d’accompagnement à l’insertion professionnelle, » précise Benoît Furelaud, directeur. « On sait très bien que, parmi eux, beaucoup souhaitent créer leur activité. La Flashcoop permet de tester en condition réelle, en accéléré, tout ce qu’il y a à faire quand on est son propre patron. Dans tous les cas, c’est une expérience qui permet une reprise de confiance et une remobilisation par le biais d’un projet tangible. »
Seule condition, la motivation
Chaque coopérative éphémère est mise en place et animée en collaboration avec des structures partenaires (mission locale, atelier de pédagogie personnalisée, collectivités, etc.), qui se chargent de mobiliser les publics en amont. Elles sont complètement libres de fixer des prérequis. Seule condition, que les candidats soient extrêmement motivés, parce que l’expérience dans laquelle ils s’engagent est très intense. Il faut également qu’ils n’aient aucun problème de mobilité. L’inscription se fait quasiment au dernier moment, les participants n’ont rien à préparer avant le premier jour. Ils signent un contrat d’appui au projet d’entreprise (Cape), comme s’ils intégraient une véritable CAE en tant que créateur d’entreprise.
Le choix du produit à fabriquer et à commercialiser est fixé lors des comités techniques rassemblant les partenaires mobilisés, qui s’efforcent de trouver une marchandise agréable à créer (exemple avec les kokédamas de la Flashcoop 3) et qui permettra de découvrir plusieurs métiers différents. Le dernier mois est consacré à l’étude de faisabilité, à fixer les horaires, le lieu de commercialisation, etc. « Tout cela se décide vraiment en fonction de l’appétence des personnes constituant la structure partenaire. L’activité est imposée aux coopérateurs, qui la découvre le premier jour de participation. »
Juste après la découverte du produit, les coopérateurs doivent rapidement enchaîner les étapes : rendez-vous chez le banquier ou l’assureur, présentation de ce qu’est un modèle économique, comment on fixe ses prix avec les notions de marge et de chiffre d’affaires, puis la production, la commercialisation, et pour finir, le bilan comptable. Tout cela en sept jours.
« Compte tenu du calendrier très court, ils ne peuvent pas se permettre de moment d’hésitation. Le rythme soutenu ne laisse pas aux gens le temps de se regarder pendant des heures avant qu’il se passe quelque chose. Il faut tout de suite entrer dans le concret. L’entente doit être bonne au sein du groupe, pour s’accorder sur le nom de la marque, fixer les prix, gérer la fabrication et la vente, la répartition des bénéfices, etc. Nous choisissons le produit et le lieu de commercialisation, mais tous les autres aspects, ce sont les associés qui les déterminent ensemble. » Les participants ont également conscience qu’ils sont sur un format très particulier et que les impératifs de production et de commercialisation peuvent les amener à travailler plus de 35 heures, que ce soit pour assurer l’objectif de fabrication ou la vente sur un marché qui implique de commencer tôt.
« Tout va très vite. Plus ça va vite, moins les gens ont le temps de se poser des questions. En général, dans nos activités d’insertion, le pire ce sont les temps morts, qui présentent toujours le risque de mettre en péril la dynamique de mobilisation. Donc le risque de perdre des gens. À l’issue, ils obtiennent une rétribution, certes symbolique, mais qui leur donne la preuve qu’ils ont vraiment mené une activité à son terme. »
Tout au long de la semaine, des intervenants extérieurs accompagnent les groupes dans la conception de leur offre, la production et la commercialisation. Ainsi ce sont des banquiers qui proposent de simuler un rendez-vous avec la banque, et des graphistes apportent leurs compétences pour la partie communication, la création du logo et du nom de marque. Des professionnels de l’activité choisie (boulangerie, couture, pâtisserie…) aident à la production. Tous sont sollicités plusieurs semaines avant le début de la coopérative, afin de s’assurer qu’ils soient bien disponibles
« Parmi nos contacts, nous avons des professionnels qui adhèrent à ce projet, auxquels nous faisons régulièrement appel, » explique Imane Guarraz, chargée de communication. « Par exemple, dans le cadre de la troisième Flashcoop fin 2024, nous avons sollicité l’Atelier du Soleil et du Vent, structure d’éducation au développement durable, qui a accueilli le groupe dans ses locaux pour la journée de production. Et puis deux graphistes qui font partie d’une CAE. Pour nous, c’est très intéressant de mobiliser des personnes qui croient au modèle coopératif et qui connaissent l’entrepreneuriat. »
Favoriser la mixité
En fonction des Flashcoops, l’ambiance et le fonctionnement dans le groupe ont été à chaque fois différents. Lors de la dernière édition, la dynamique s’est révélée la meilleure, en raison de la mixité, en termes d’âges et de genres. « Animer un groupe avec des profils très divers est plus facile que lorsque le groupe est homogène, par exemple des jeunes de mission locale. La diversité est gage de réussite dans la construction du commun. À la fin du premier jour, tout le monde avait un sentiment d’appartenance et la motivation pour aller au bout. »
« Nous avons constaté un vrai engagement de la part des participants notamment en raison de leur différence d’âge. À la fin, ils parlaient même de créer leur entreprise ensemble. Pour nous, ça a été une véritable surprise. Sinon, on s’est rendu compte qu’ils étaient tous très curieux de tout, qu’il y avait une vraie envie de découvrir un grand éventail métiers. L’adhésion des structures et de Grand Poitiers s’est révélée aussi très précieuse. »
Même si la forme est très cadrée, chaque groupe a dû s’adapter aux circonstances, par exemple en modifiant leur mode de commercialisation, et passer d’un petit marché rural à de la commercialisation en ligne. Comme ce fut le cas pour le groupe qui a fabriqué beaucoup plus de kokédamas que prévu. L’objectif était de tout vendre, les associés ont dû adapter leurs prix. Ils ont réussi à rebondir et à trouver des solutions pour ne pas rester sur une demi-réussite, preuve de leur réactivité.
Une Flashcoop peut avoir comme effet de bousculer certaines certitudes chez les participants, notamment ceux qui avaient un projet professionnel déjà bien déterminé. Car il arrive qu’ils se rendent compte que le champ des possibles est complètement ouvert. S’ils se découvrent une appétence pour les chiffres et la comptabilité, ils se mettent à envisager de s’intéresser aux métiers de la gestion, chose qui n’était pas apparue au cours de leur accompagnement préalable. D’autres réalisent que l’entrepreneuriat n’est pas pour eux, qu’ils préfèrent recevoir un salaire régulier.
Aceascop envisage de continuer à développer des actions autour de l’entrepreneuriat sous forme coopérative. Les élus de Grand Poitiers sont prêts à renouveler leur soutien, ce qui facilite la recherche de nouveaux territoires et partenaires. « Pour organiser de nouvelles Flashcoops sur d’autres territoires, il faut toujours bien en expliquer le principe, parce qu’il est peu connu. C’est pareil pour les CAE, une fois qu’on a compris leur fonctionnement, on se demande pourquoi un créateur d’entreprise ne commence pas toujours par tester son activité dans ce cadre, quitte ensuite à choisir un statut d’entrepreneuriat individuel ou de société. Pour convaincre, notre message c’est, la formule que nous vous proposons permet de remotiver et mobiliser vos publics, et de valoriser votre territoire. En plus le plan de financement est clos, donc ça ne va rien vous coûter. »