
Ingrid Berghman est directrice de l’association bordelaise « WeJob ». WeJob a répondu à l’AMI O2R, dans le but de mettre en place le projet « Connexion des possibles ». Ce dispositif, lancé en janvier dernier, a été élaboré avec une quinzaine de partenaires dans le cadre d’un consortium. Les deux premiers groupes de participants, un à Bordeaux, l’autre à Talence, ont débuté leurs parcours au début du mois de mars.
D’où vient « Connexion des possibles » ?
Notre objectif en tant qu’association est de travailler pour l’emploi. Beaucoup de publics n’ont pas les compétences attendues sur le marché du travail, il est nécessaire d’agir sur le projet professionnel et les compétences des personnes. Le problème, c’est que les publics les plus éloignés ont beaucoup de difficultés à se repérer dans les métiers et les formations. Pour les aider, nous avons créé plusieurs dispositifs, par exemple un qui s’adresse aux femmes de quartiers prioritaires. Nous travaillons à la fois sur leur projet professionnel et sur leur problématique de garde d’enfants. Une autre de nos actions, un CEJ Rupture, vise les jeunes décrocheurs qui rencontrent des difficultés à se projeter. On leur propose notamment de réaliser un projet vidéo. Avec Connexion des possibles, nous avons eu envie de créer un nouveau programme, tout en en nous basant sur les briques de nos dispositifs précédentes, en les combinant dans la même démarche.
Vous visez un public particulier ?
Il existe deux catégories de publics. Celui qui est visible du service public de l’emploi mais qui rencontre des grosses difficultés, et celui qui est invisible. Notre objectif est de porter ceux qui ne s’inscrivent pas facilement dans un dispositif existant. Le plus souvent, les personnes dites « invisibles » le sont parce qu’elles ne savent même pas que le service public existe ou qu’elles pensent qu’il ne sert à rien. Sans compter la barrière de langue et la barrière du numérique. Ça peut expliquer leur situation.
Connexion des possibles, c’est un programme qui est relativement large, très lié au projet professionnel et à la remobilisation des personnes. On va être un peu moins sur le traitement des problèmes du quotidien, de logement par exemple. Dans la plupart des cas, on va plutôt orienter vers des partenaires. Mais on peut tout de même s’occuper de trouver une place dans un foyer de jeunes travailleurs, ou un audit santé avec la CPAM.
Quel est son principe ?
On avait envie d’aller plus loin que ce qu’on faisait jusqu’à aujourd’hui, en ayant plusieurs publics dans le même programme. Et en utilisant ce qu’on sait faire ailleurs pour le démultiplier. On a voulu que ce projet soit pluriel, pour que les participants aient le choix, que nous ne leur imposions rien. Et qu’il soit accessible à un public aussi large que possible. Trop souvent on segmente les populations en mettant les jeunes d’un côté, les seniors de l’autre, les femmes encore ailleurs, etc. Nous prévoyons quatre sessions par an, deux à Bordeaux, une à Talence, une à Pessac. Chaque session pour un groupe d’une douzaine personnes. Les participants choisissent une des quatre activités proposées, et on leur demande également de se positionner sur une ou plusieurs filières métiers.
Quelles sont les quatre activités que vous proposez ?
La première tourne autour de la réalisation d’un podcast vidéo, avec notre partenaire Energie Prod. La deuxième a pour thème la cuisine, et la préparation d’un repas, sous la houlette de l’association « Vision mêlée », spécialisée dans l’insertion par le sport et la cuisine. On y aborde les questions d’approvisionnement, de coût de revient, pour ceux qui envisageraient de lancer leur propre activité dans ce domaine. Nous avons aussi une proposition de mobilisation par le sport, encadrée par « On catalyse ». Il s’agit d’un programme de remise en forme pour que les personnes prennent confiance en elles. L’action se termine par un petit match avec des entreprises, pour nouer des contacts dans un cadre inhabituel. Enfin une activité théâtre d’impro avec « Décalez ! ». Le théâtre d’improvisation est accessible à tout le monde, pas besoin de retenir des textes. Il permet aux gens d’être plus à l’aise à l’oral, en créant des petits sketchs pour parler des métiers et du monde du travail.
Et quelles sont les filières que vous présentez ?
Nous accompagnons les stagiaires pendant trois mois, à raison de deux jours par semaine, les lundis et mardis. En parallèle de leur projet, nous animons des ateliers sur le projet professionnel et la recherche d’emploi. Une fois par semaine, les stagiaires se rendent chez un de nos partenaires, notamment sur les plateaux techniques d’organismes de formation, pour faire la découverte des métiers du numérique, du bâtiment, du sanitaire et social, ou encore de l’industrie, du commerce et de l’esthétique. En tout treize filières. À la suite de ces visites, les personnes qui se déclarent intéressées peuvent demander une immersion de quelques jours afin de se frotter à la réalité de tel ou tel métier. Souvent, tant que les gens ne vivent pas cette expérience, ils ont du mal à se représenter ce que ça peut être, et ils restent sur des préjugés. C’est une bonne façon de savoir si ça leur plaît ou pas. Nous pouvons mettre en place ces immersions parce que France travail nous a donné délégation pour être opérateur PMSMP.
Comment les participants font-ils leur choix ?
On leur propose un parcours en forme de rallye. Ils ne vont pas tous faire tous les métiers, parce que certains n’ont aucune appétence pour le BTP ou le commerce. Nous leur disons qu’il faut s’ouvrir à différentes options et d’en choisir cinq ou six, ça nous permet de construire avec eux la suite de leur évolution professionnelle. Il y a déjà treize filières à découvrir, avec à chaque fois plusieurs métiers. Mais s’ils veulent en découvrir un qui ne figure pas dans notre éventail, par exemple un métier du bois, dans ce cas nous sommes en lien avec des entreprises du bois à la Cité Bleue dans le quartier de Bacalan, qui peuvent les accueillir pour une découverte.
On ne leur impose rien, ils vont vers les métiers qui les intéressent. Un conseiller accompagne chaque groupe de douze personnes. Il coordonne l’activité, ainsi que les partenaires. Il suit son groupe au quotidien, et chaque personne individuellement. Son rôle est d’accompagner les participants et de les guider tout au long de leur parcours. Avec lui, chaque personne construit son projet. Ils décident ensemble de ce qu’elle va faire, réaliser une enquête métier avec une entreprise, chercher une immersion sur tel métier, chercher une formation…
Quel est le rythme ?
Les stagiaires participent à des sessions de douze semaines en collectif. Ils sont également suivis individuellement. Au bout des trois mois, on les confronte à leur projet après qu’ils ont fait un premier choix de métiers, un CV, un pitch de présentation. On leur propose un job dating, qui leur permet d’envisager comment ils s’y prendront pour la suite. Les trois mois suivants, nous finalisons les démarches avec eux, par exemple trouver un organisme de formation, ou si c’est pour l’emploi comment faire les démarches entreprise. Donc notre accompagnement est prévu pour six mois minimum, douze mois au plus. Ça peut être plus ou moins long selon les personnes, en fonction de leurs freins, si elles ont une RQTH, si elles font une immersion, etc.
Quelles sont les conditions pour entrer dans le dispositif ?
Il n’y a pas vraiment de conditions, mais nous voulons que les participants soient motivés pour trouver un métier, faire une formation ou prendre un emploi. Il faut aussi qu’ils soient capables de comprendre le dispositif, donc on demande un niveau de langue type A2. Le cas échéant, pour aider les gens à monter en charge sur le numérique, nous leur prêtons des ordinateurs. Le plus important, c’est d’évaluer quel est l’éloignement vis-à-vis de l’emploi. La seule vraie limite, c’est qu’il ne faut pas que la personne soit déjà accompagnée par d’autres acteurs en parallèle.
Comment les candidats arrivent-ils dans le programme ?
Comme nous cherchons des personnes qui ne sont pas accompagnées par la mission locale ou par France Travail, nous ne sommes pas dans la prescription classique. Une banque alimentaire ou un centre social qui reçoit quelqu’un en difficulté peut nous l’orienter. On va aussi beaucoup sur le terrain, chez les commerçants. Ou même échanger avec les gens dans la rue, dans les parcs, aux arrêts de tram. En fait partout où on peut être au contact des habitants des quartiers. Avec certains de nos partenaires, on organise des micros-trottoirs ou des goûters sportifs. Et des ateliers de socio-esthétique pour les femmes qui n’ont pas forcément les moyens de prendre soin d’elles. Ce sont des ateliers gratuits qui nous donnent l’occasion d’échanger sur leur situation professionnelle.
À partir de quand parlez-vous projet professionnel avec les participants ?
On leur en parle dès le début. C’est un dispositif où on va d’emblée parler des métiers qui les intéressent ou pas. S’ils ne sont pas déjà dans cette réflexion, ça ne sert à rien qu’ils viennent. On ne leur parle pas que de ça, on aborde également leurs différentes difficultés, en santé, logement, etc. Si la personne a confiance en nous à la fin de l’échange, on lui propose de venir dans nos locaux pour une réunion de présentation du dispositif. Comme les participants vont faire partie d’un groupe, c’est important qu’ils voient d’emblée la dynamique collective, et qu’ils y adhèrent. De toute manière, ils seront en collectif dans les entreprises ou en formation, et il faut qu’ils s’y habituent le plus vite possible.
Cet article est publié pour le compte de « La Place », la plateforme collaborative créée par la DGEFP, dédiée aux acteurs de l’AMI O2R et du PACTE de la Région Nouvelle-Aquitaine :