
Elsa Payri-Chinanou est chargée de projets pour l’association Insertion Emploi Bearn Adour (IEBA) qui a participé de 2019 à 2021 au projet « in system. » En 2023, IEBA a répondu à un appel à projets du plan pauvreté de l’État pour s’équiper d’un fourgon aménagé en bureau d’accueil mobile, le BAM dont Mathilde Lubrano est l’animatrice. Son fonctionnement est assuré depuis décembre 2024 grâce au soutien de l’AMI O2R.
Que pouvez-vous nous dire sur le BAM ?
Initialement, notre camion était dédié à nos bénéficiaires, des personnes déjà en accompagnement par la mission locale ou le PLIE. Nous allions vers nos bénéficiaires, mais pas forcément vers ceux qu’on ne connaissait pas encore. Par la suite, on a décidé de positionner le BAM sur le repérage de ces invisibles, ceux qui ne relèvent pas d’un accompagnement renforcé. O2R nous permet d’assurer la continuité de l’utilisation du camion et toute la relation partenariale que nous avons développé, notamment avec le Service Départemental des Solidarités Et de l’Insertion (SDSEI) et les assistantes sociales de notre secteur pour qu’elles puissent assurer les accompagnements de leurs participants et bénéficiaires. Notre animatrice circule tous les jours avec le véhicule, les conseillères mission locale peuvent aussi aller à la rencontre des jeunes bénéficiaires sur les territoires, les conseillères PLIE et notre service logement aussi. Par ailleurs, on prête le BAM à pas mal de partenaires, à condition qu’il soit utilisé sur notre territoire.
Pourquoi avoir choisi cette solution ?
IEBA couvre 179 communes situées au nord de Pau et au sud du département, dans quatre communautés de communes du Béarn assez rurales. Notre siège social est à Morlaàs et nous avons douze lieux de permanence sur tout le territoire. Malgré cela, des zones blanches subsistent, qui ne sont couvertes ni par nos services, ni par les services publics en général. L’un des premiers freins à l’accès à l’emploi c’est la mobilité. Pouvoir se rendre au plus près du lieu d’habitation des bénéficiaires, ça fait partie de la réponse. Même si ça ne règle pas tout.
Vous vous êtes fixé un objectif quantitatif ?
Notre objectif est de toucher cinquante personnes par an. Maintenant que l’action de terrain a démarré et que nous avons les premières données, on se rend compte que certaines personnes rencontrées ne pourront pas être comptabilisées. On s’attend à avoir un nombre important de déperditions. On sait que par principe, il faut rencontrer beaucoup de potentiels bénéficiaires.
Pour vous Mathilde, à quoi ressemble une semaine type avec le BAM ?
Je fonctionne vraiment au cas par cas, selon les besoins. Je n’ai pas d’itinéraire prévu, pas de permanences dans des villages. Peut-être que ça se mettra en place plus tard. Chaque jour est différent et je m’adapte aux demandes. A mon arrivée, mon premier objectif était de faire de la prospection auprès des commerces, de la boulangerie au salon de coiffure en passant par la pharmacie. Et des collectivités qui étaient déjà informées du projet O2R grâce à notre communication. Mais je préfère toujours me présenter physiquement. Je suis aussi allée à la rencontre des associations sociales et culturelles qu’IEBA connaissaient déjà. On compte beaucoup sur ces partenaires pour repérer des personnes invisibles. On mise aussi sur le bouche-à-oreille et la rencontre spontanée, parce que je ne vais pas jusqu’au domicile des gens.
Quel est exactement le discours que vous tenez à ces repéreurs ?
Ça a été un grand questionnement dès le début. Sachant que le dispositif O2R n’est pas simple à comprendre. Et qu’en plus, on est une structure multi multiservices, c’est compliqué aussi. Quand j’arrive dans un lieu, je me présente en tant qu’association IEBA. Je fais très simple, j’explique qu’on accompagne tous les publics dans la recherche d’emploi ou d’orientation, mais je ne rentre pas trop dans les détails. Je leur demande de revenir vers moi s’ils rencontrent ou qu’ils entendent parler de personnes qui auraient besoin d’aide.
Vous procédez toujours de la même manière ?
Je me déplace avec le camion pour rencontrer chaque personne de manière très réactive. Ça peut se faire du jour au lendemain. J’essaie de comprendre son parcours, son projet et savoir de quoi elle aurait besoin. Et en fonction de ça, je l’oriente rapidement vers les bons intervenants. Si elle a besoin d’être remise en confiance, je peux me déplacer à plusieurs reprises. Lors de mon recrutement, on m’a fait comprendre que je n’avais pas de limites et que je devais tout tenter. Je pense qu’il n’y a pas de petite ou de grosse victoire. Tant qu’on arrive à raccrocher une personne, c’est toujours ça de pris. Repérer les invisibles, c’est vraiment faire de la dentelle.
On peut mettre en place d’autres actions, par exemple être présent sur un marché un samedi matin. On saura plus tard si c’est efficace. On est toujours prêts à essayer de se greffer sur des événements existants, organisés par d’autres associations, comme des forums d’emploi, des distributions de colis alimentaire avec les Restos du Cœur. On a aussi beaucoup de prescriptions qui viennent d’élus et des secrétaires de mairie. Et puis comme IEBA est aussi mission locale, je récupère des listes de jeunes qui n’auraient pas été vus depuis plus de 6 mois. Ils rentrent aussi dans le cadre des invisibles.
A quel moment débute la phase de mobilisation ?
La période de repérage peut durer jusqu’à un mois et demi. Je rencontre chaque personne plusieurs fois, pour affiner le bilan, voir si elle adhère au dispositif. Ensuite la période de remobilisation est de quatre mois maximums. Cela dit, si un jeune va au-delà des quatre mois, on continue à l’encadrer. Mais on ne va pas jusqu’à l’accompagnement. D’ailleurs on a commencé à toucher les premières limites du projet, avec cette frontière entre remobilisation et accompagnement qui n’est pas toujours très claire.
En quoi consiste-t-elle ?
En remobilisation, on est vraiment en individuel plus qu’en collectif. Pour l’essentiel, c’est de la remise en confiance, du coaching, de l’écoute. Pour créer une dynamique, avec nos partenaires nous proposons tout un éventail d’activités culturelles, sportives, des événements, des visites de centres de formation, des ateliers sur l’orientation et les métiers, via l’ERIP. On a aussi un partenariat avec la CPAM pour bénéficier d’un bilan de santé gratuit. On utilise des outils comme des casques de réalité virtuelle, un simulateur de conduite pour réviser le code, des petits jeux de société qu’on utilise souvent dans les ateliers, ainsi qu’en individuel. Ce genre de choses, ça peut se faire dans l’espace clos du camion.
Ce qui est sûr, c’est que ce qui fonctionne en remobilisation, c’est le cas par cas. Le principe est de s’adapter à la personne et à son rythme. Il y a des jeunes qui vont avoir besoin d’être vus une fois par semaine. Alors que pour d’autres, notamment les plus désociabilisés, une fois tous les quinze jours, c’est déjà beaucoup. Souvent je constate qu’ils ne savent pas réellement ce dont ils ont besoin, donc c’est à moi de proposer des choses. Ensuite, ils adhèrent ou pas.
Quel est le premier bilan que vous tirez de cette action, et que faudrait-il pour l’améliorer ?
La première chose que nous avons remarqué, c’est que des vrais invisibles, il n’y en a pas tant que ça. Finalement, le territoire est bien maillé par les partenaires et les associations. La mission locale et le PLIE sont bien identifiés, les publics connaissent les structures. Il n’y a pas de zones totalement déconnectées, totalement perdues.
On sait qu’on ne pourra pas régler le problème de la mobilité à la fin de la remobilisation. Certains de nos ateliers ne sont organisés qu’au siège de la mission locale et ne peuvent pas être délocalisés. Ça peut être un frein. Nous avons tout de même la chance d’avoir des permanences sur le territoire. Mais la mobilité reste le problème le plus important. Pour un jeune sans permis, sans voiture, des parents non disponibles, aucun moyen de transport collectif sur le territoire, ça reste très compliqué.
Cet article est publié pour le compte de « La Place », la plateforme collaborative créée par la DGEFP, dédiée aux acteurs de l’AMI O2R et du PACTE de la Région Nouvelle-Aquitaine :