
L’Association de Soutien de la Dordogne (ASD 24) de Périgueux lutte contre les exclusions depuis 1974 en déployant une vingtaine d’activités sur le département de la Dordogne, afin d’accompagner chaque année plus d’un millier de personnes. Avec l’association 3S de Coulounieix-Chamiers, dont l’activité est l’insertion par l’activité économique, elle a déposé un dossier à l’AMI O2R, dont elle assure la coordination.
Anne Marie Delafontaine, vous êtes responsable du service intégré de l’accueil et de l’orientation (SIAO), quelle était la volonté d’ASD en répondant à O2R ?
Avant O2R, nous étions lauréats du CEJ Rupture. Ce dispositif prend en quelque sorte le relais pour un public élargi au-delà des 18-25 ans. Dans notre réponse, nous avons insisté sur notre connaissance de notre territoire, et des profils en grande précarité. C’est plutôt récent dans nos pratiques professionnelles d’intégrer la dimension emploi. Pendant longtemps, dans le cadre du travail social et de l’intervention sociale, la priorité était de trouver une solution d’hébergement, l’accompagnement un peu plus stable venait après. Il nous semblait évident de répondre à cet AMI, et de nous associer avec d’autres compétences pour être complémentaires.
Quelle a été réflexion pour répondre à l’AMI ?
Le premier constat c’est que les personnes avec des problèmes d’hébergement n’accédaient pas à des solutions de formation ou d’emploi. Et lorsqu’elles y accèdent, elles rencontrent des difficultés pour s’y maintenir. Pour avoir un logement, il faut être solvable. C’est un peu le serpent qui se mord la queue. Avec ce public, les problématiques s’additionnent, dans le domaine de la santé, de la santé mentale, des périodes d’errance à la rue, puis en hospitalisation. Et souvent des addictions.
Quel est l’apport d’O2R sur le repérage ?
Jusqu’à la mise en place du dispositif en février dernier, il n’y avait pas de repérage spécifique. A l’ASD, nous pratiquons l’aller-vers depuis longtemps, avec des maraudes pour toucher des personnes qui n’ont plus la capacité ou le désir de se diriger vers des dispositifs de droit commun. Il faut aller les chercher là où elles sont, et pour cela on s’appuie notamment sur notre dispositif de veille sociale et nos lieux d’accueil. Il y aurait quelque chose de vain à partir dans les rues, au petit bonheur la chance, pour espérer repérer des personnes éloignées de l’emploi. Il faut bien, à un moment donné, qu’il y ait un signalement par nos propres dispositifs, par les autres associations et structures du territoire, ou les institutions.
Vous accueillez un profil particulier de publics ?
On prend tous types de profils. L’entrée sur le dispositif est seulement conditionnée par le fait de ne pas avoir eu de suivi avec France travail. Dans les ateliers, on est là plus en posture d’animateur et régulateur que de formateur. On rédige une charte au premier atelier, écrite par les participants, pour établir les règles de vie en collectif et définir un projet commun, comme ne pas se couper la parole, se respecter… On essaie de chercher le meilleur des compétences des uns et des autres, et ce que ça apporte au groupe. Le tout, c’est que chaque personne puisse briller pendant cinq minutes, en quelque sorte vivre leur moment de gloire.
Samuel Biaujaud, vous avez été recruté spécifiquement pour ce programme, quel est votre rôle ?
J’interviens sur la phase de repérage, puis celle d’accompagnement individuel. Les personnes me sont orientées et je les rencontre une ou deux fois, afin d’établir un premier diagnostic de leur situation, de recueillir leurs demandes et de vérifier si elles se sentent prêtes à s’investir dans un dispositif avec un suivi individuel régulier. C’est aussi de jauger si elles sont déjà dans une certaine dynamique, surtout pour la remobilisation, avec des ateliers collectifs plusieurs jours par semaine. L’intention de la phase de repérage, c’est d’abord de ne pas mettre les personnes en difficulté, de leur apporter au moins une solution, pas seulement de les rencontrer.
Notre enjeu est de ne pas effrayer la personne et de la tenir mobilisée dans le temps. Dans l’idéal, le repérage n’excède pas trois semaines, mais il peut prendre plus de temps pour des personnes qui ne maîtrisent pas le français, ou qui ont des addictions, des troubles de la santé. Nous devons essayer « d’apprivoiser » ce public qui est souvent dans l’évitement.
Comment sont choisis les participants ?
Toutes les deux semaines, nous avons une commission d’admission où je présente les diagnostics, et nous décidons si une personne est prête ou non à intégrer le dispositif. Ensuite, elle s’engage à être présente à chaque entretien ou bien de prévenir en cas d’absence. C’est quelque chose de très simple, mais ça établit un cadre. Durant la phase de suivi individuel, je commence par refaire un point avec la personne sur les questions de mobilité, de logement, de santé. Avant d’entamer les ateliers collectifs, je lui laisse le temps de s’adapter si elle en a besoin. Le but du dispositif, c’est de s’adapter à son rythme. Les participants ne sont pas tous au même niveau en matière d’emploi, selon qu’ils ont eu un parcours professionnel, qu’ils aient connu un accident de vie, un parcours haché, une perte de confiance dans leur capacité à maintenir un emploi. Pour certains, la perspective de l’emploi est encore un peu trop lointaine, il faut avant tout travailler sur la confiance en soi aussi vis-à-vis de l’emploi. C’est important également dans le but de préparer les personnes à travailler en équipe avec d’autres personnes dans le cadre des ateliers collectifs.
Marilyn Bissat, vous êtes coordinatrice et formatrice à l’association 3S, quel est le rôle de votre structure ?
3S ne se sentait pas de répondre seule. Notre savoir-faire c’est la remobilisation, l’animation d’ateliers collectifs, mais pas le repérage qui nous demanderait trop de temps. Nous sommes une petite structure, avec onze permanents sur deux établissements, dont notre association intermédiaire qui compte une conseillère en insertion professionnelle, une chargée d’accueil et moi-même.
Le parcours inclut trois mois d’accompagnement collectif, à raison d’un à trois ateliers par semaine. Le collectif fait partie intégrante de la réponse, et les candidats savent qu’ils y participeront. L’une des premières compétences qu’on va évaluer, c’est la capacité à travailler avec les autres. Grâce au groupe, on peut agir sur les compétences psychosociales. Avant cela, on va pouvoir se rendre compte s’il y a des écarts ou pas, évaluer la motivation. Ces personnes sont en partie en rupture sociale, en rupture de lien. Quand on leur parle de travailler avec d’autres, c’est à la fois angoissant pour elles, et motivant parce qu’elles sont en attente de partager leurs difficultés avec des pairs.
Quelle est la durée du dispositif ?
La totalité du dispositif, repérage, mobilisation et accompagnement, c’est six à neuf mois. Depuis plusieurs années, on constate que les personnes sont de plus en plus éloignées de l’emploi et même de l’insertion, des personnes qui parfois sont au RSA depuis dix ans et n’ont pas quitté leur canapé toutes ces années. Reprendre un certain rythme, ne pas oublier de se lever le matin, c’est difficile pour elles. Ou elles arrivent en retard, parce qu’elles ont oublié que trois jours de travail successifs, c’est trop dur.
Pour nous, il est évident que dans beaucoup de cas, même pour aller sur des dispositifs de remobilisation, il manque une petite marche pour pouvoir se préparer. En fait, c’est comme si on leur faisait faire du renforcement musculaire, c’est ça notre travail. Notre but c’est de les aider à marcher toutes seules, retrouver de l’estime et de la confiance en soi. C’est très important avant d’envisager de reprendre une activité, avant même de parler d’emploi. C’est une pédagogie des petits pas, de la pédagogie détournée. Tout peut être utilisé comme support d’apprentissage.
En quoi consiste la sortie du dispositif ?
L’issue du dispositif c’est une prise de relais soit par France travail, soit par Cap emploi ou la mission locale. La première chose c’est de nous assurer que les gens ne soient pas lâchés dans la nature et que tout notre travail ait été réalisé en vain. Le caractère positif de la sortie dépend des objectifs qui ont été fixés à l’entrée avec chaque participant. Ça peut être d’effectuer une immersion professionnelle pour ceux qui n’ont jamais travaillé, entrer progressivement dans une structure d’insertion ou directement dans un emploi plus classique. Mais ça peut être aussi de prendre des cours de français. Dans tous les cas, il s’agit d’amorcer un projet qui ne sera pas abandonné à la suite du dispositif.
Dans certains cas, ça consiste aussi à déconstruire le projet d’une personne qui pensait être prête et qui finalement se rend compte qu’il lui reste des étapes à franchir avant d’arriver à l’emploi. Tout au long du parcours, l’idée c’est de les mettre en relation avec les entreprises, de les confronter à la réalité. Et de casser certaines représentations qui viennent percuter la réalité de l’emploi. On estime avoir réussi quand on a fait en sorte de ne pas mettre la personne plus en difficulté, parce qu’on sait que de si on vit échec après échec, c’est de plus en plus difficile de se relever. Là, notre but est de retrouver de la cohérence dans un parcours, et de se dire que ça va peut-être prendre un peu plus de temps mais pour déboucher sur quelque chose de bien plus pérenne. Notre enjeu c’est véritablement de les mobiliser sur le long terme. Il y a des personnes qui bouillonnent d’idées et puis le lendemain, tout retombe. C’est pour ça que nos intervenants sont épaulés par une multitude d’autres acteurs.
Cet article est publié pour le compte de « La Place », la plateforme collaborative créée par la DGEFP, dédiée aux acteurs de l’AMI O2R et du PACTE de la Région Nouvelle-Aquitaine :