Stabiliser les situations

Paroles d’acteurs

Le réseau creusois des structures d’insertion par l’activité économique (RCSIAE) est né en 2009 de la volonté de créer du lien entre les chantiers d’insertion du territoire. Il regroupe 22 structures, majoritairement des ateliers et chantiers d’insertion. L’association RCSIAE porte elle-même quatre chantiers. Le réseau a été retenu par l’AMI O2R pour développer une action sur l’ensemble du département.

Hélène Guillou vous êtes chargée de mission au RCSIAE. Pourquoi avoir répondu à O2R ?

La question des publics invisibles n’est pas nouvelle pour nous, parce que nous les voyons arriver ponctuellement sur les chantiers d’insertion, sans repérage particulier. De plus, nous avons au sein de nos directions des collègues qui travaillent dans le milieu d’insertion depuis un grand nombre d’années, qui sont en contact de ces publics, ou qui ont l’occasion de les croiser dans des cadres autres que professionnels. Il s’agit de personnes sans ressources, hors de tout radar, pas du tout à jour administrativement parlant, suivies ni par France Travail, ni par le conseil départemental. O2R était l’occasion de travailler sur leur accompagnement et les amener vers un emploi en chantier d’insertion.

Mais pour intégrer une SIAE, les personnes ne doivent-elles pas être employables immédiatement ?

Toutes les structures d’insertion doivent assurer leur seuil de productivité, il leur faut un minimum de salariés en capacité de travailler. Là, on a affaire à des personnes qui ont tellement de freins que même une entrée en chantier d’insertion est compliquée. Au fur et à mesure des années, nous constatons que les publics deviennent de plus en plus précaires. A la fois des plus jeunes et des plus âgés, aux deux extrémités. Du point de vue des conseillers, cela devient compliqué de travailler sur le projet professionnel, parce qu’il y a beaucoup de difficultés d’ordre social à régler en amont. En Creuse nous faisons partie des territoires qui expérimentent le RSA sous condition depuis deux ans, certaines personnes isolées ont pu entrer dans une certaine forme d’accompagnement.

Que vous a permis O2R ?

Grâce à O2R, nous avons pu allouer des moyens supplémentaires, recruter une nouvelle conseillère, mettre en place des actions et aller à la rencontre de ces publics. L’accompagnement que nous avons envisagé n’est pas complètement révolutionnaire, il fonctionne sur le même principe que pour nos chantiers d’insertion, à cela près que notre conseillère se déplace tout le territoire et qu’elle a plus de temps pour accompagner chaque personne. Notre idée à la base était de privilégier la ruralité, ne pas axer sur les villes parce qu’il y a déjà des structures qui effectuent ce travail.  Il y a aussi cette phase de repérage qu’on n’avait pas sur les chantiers d’insertion.

Comment avez-vous mis en place votre projet ?

Pour la phase de repérage, on a mené un travail de communication à base d’affiches et de dépliants. On a pris contact avec les partenaires du territoire pour leur présenter l’action. Nous avons fait des interventions devant des conseils communautaires pour que les élus relaient l’information auprès de la population et qu’ils identifient des personnes en situation compliquée. Nous avons également rencontré des acteurs de la santé, les prescripteurs classiques, les assistantes sociales du conseil départemental, les tiers lieux, différentes associations, les centres d’hébergement d’urgence, etc. Nous n’avons pas mis en place de porte-à-porte, qui est impossible géographiquement parlant parce que notre choix était d’accompagner des personnes sur toute la Creuse. On ne va pas jusqu’au domicile mais on essaie de s’approcher au plus près, par exemple en se faisant prêter un bureau ou une salle par la mairie du village.

Quelle a été la réaction des partenaires ou relais ?

Nous avons fait notre tour des partenaires au premier trimestre. Ceux qui nous ont répondu étaient plutôt intéressés, comme les associations caritatives. Le projet leur parlait et ils nous ont dit pouvoir nous diriger des gens. Ceux qui n’ont pas répondu, c’est sans doute parce qu’ils ne voyaient pas forcément quel rôle jouer. Ceux dont l’accompagnement n’est pas la vocation première, comme les tiers lieux. Ils voient passer du monde, mais pour autant ils ne se disent pas forcément qu’ils ont vocation à réorienter ou à s’immiscer dans la vie de ces personnes. On a eu les deux réactions, ceux qui pensent qu’il y a un besoin sur le territoire et ceux qui se demandent s’il n’y a pas une redondance dans les propositions d’accompagnement. Notre intérêt c’est justement d’éviter cet effet, on veut agir en complémentarité.

Rebecca Biro, vous êtes la conseillère en insertion professionnelle en charge de l’action. Comment abordez-vous ce public ?

En général, ce sont les bénéficiaires qui nous contactent eux-mêmes. C’est une donnée vraiment importante puisqu’elle révèle une attitude volontaire chez ces personnes. En quelque sorte, elles sont déjà d’emblée dans la remobilisation. Elles ont surtout besoin de trouver quelqu’un qui va leur consacrer plus de temps, les écouter, leur accorder plus de considération que dans les structures existantes. Le fait pour moi d’avoir plus de temps, plus de moyens pour me déplacer au plus près des gens, ça compte vraiment. Si c’est le bénéficiaire qui appelle, la démarche est plus facile pour lui comme pour moi. Pour l’instant, je n’ai pas eu affaire à de vrais invisibles, plutôt des gens déjà accompagnés, mais souvent peu suivis à cause de la distance géographique ou du manque de temps des conseillers.  

Comment menez-vous le repérage ?

En général je sens bien au premier entretien si la personne a envie de s’engager dans l’accompagnement. Le premier rendez-vous permet d’établir un état des lieux des recherches, de dresser la liste des choses à faire. Je reprends contact à partir du moment où j’ai quelque chose pour avancer sur le dossier. Pour moi ça s’enclenche assez rapidement. Si en plus la personne m’a contacté par elle-même, qu’elle a la volonté d’avancer, tout s’enchaîne assez vite finalement on se revoit dans les deux semaines qui suivent le premier rendez-vous, pour leur décrire en quoi consiste l’accompagnement. Le suivi se fait aussi par téléphone ou par courriel.

Avez-vous rencontré des situations où vous pensiez que tout accompagnement serait impossible ?

Je suis de nature optimiste et pour moi on peut toujours aller vers une solution. On a des durées d’accompagnement de six ou neuf mois, et quand j’arriverai au terme de cette durée, la question pourra se poser. Est-ce que je peux être encore utile à la personne ou pas ? Á mon avis il faut quand même persévérer parce que on est confronté à des personnes qui se sentent un peu abandonnées et sont tentées de baisser les bras. Mon rôle est de les remotiver, leur redonner confiance en eux. Pour l’instant je n’ai pas eu de cas extrême qui aurait nécessité de renoncer à l’accompagnement.

Que proposez-vous pour la remobilisation ?

La remobilisation a été pensée de manière transversale, c’est-à-dire qu’elle commence dès la phase de repérage. Et elle reste en arrière-plan en permanence. Cette phase consiste déjà à faire le point avec la personne sur ses projets, vérifier s’ils sont en adéquation avec ses compétences, son profil, etc. C’est de la veille sur les offres d’emploi les formations proposées, les financements, etc. On se repose sur tous les acteurs du réseau en Creuse et on fait le lien entre les personnes qu’on accompagne et toutes les informations dont on dispose grâce aux autres structures. On ne crée pas d’actions spécifiques, mais on a la connaissance de tous les ateliers existants sur le territoire. Ensuite on oriente la personne en fonction de son besoin.

En quoi consiste votre accompagnement ?  

En Creuse y a déjà beaucoup de structures qui proposent des animations, l’ERIP, France Travail, le réseau MAP pour la mobilité, certains tiers lieux, les maisons France service, etc. Connaître les besoins en recrutement des chantiers d’insertion est aussi très utile, sachant que les personnes que j’accompagne ont plus de chances de tenir le rythme d’une structure d’insertion que celui d’une entreprise, parce qu’elles sont peu qualifiées, n’ont pas travaillé depuis plusieurs années ou ont connu des parcours professionnels hachés. Le public O2R est encore plus en difficulté. Nous devons déjà résoudre certaines urgences comme le logement et les ressources. En plus, dans une structure d’insertion, elles pourront bénéficier d’une continuité de l’accompagnement pendant vingt-quatre mois, autant sur l’aspect professionnel que social. C’est un filet de sécurité.

Considérez-vous que l’entrée dans un chantier d’insertion soit une sortie positive ?

Pour nous c’est une sortie positive dans le sens où, enfin, la personne retrouve un emploi et une rémunération tous les mois. Elle n’est plus en situation de précarité. La case chantier c’est une possibilité, mais pas une fin en soi. On est ouvert à tout ce qui est possible et qui correspond au projet de la personne, formation ou travail. Mais notre objectif est de stabiliser sa situation, pas de la pousser à tout prix vers l’emploi, parce que tout le monde ne peut pas aller en entreprise classique et ne peut pas travailler trente-cinq heures par semaine.

Depuis le lancement de votre dispositif, qu’avez-vous constaté ?

Au début on était parti sur des personnes non inscrites au niveau du SPE. Mais pour l’instant, quasiment toutes les personnes qui ont intégré le dispositif étaient inscrites à France travail. Mais elles peu ou pas suivies parce qu’elles ne peuvent pas se déplacer. Donc on a choisi de les accompagner, parce que certaines n’avaient pas eu de contact avec leurs conseillers depuis un an.

On a remarqué qu’il n’y avait aucune femme qui s’orientent vers nous dans le cadre O2R. Je constate aussi beaucoup de problèmes de logement, des gens en hébergement temporaire ou d’urgence, qui peuvent se retrouver à la rue. Ça c’est une problématique que je n’avais pas forcément imaginée. Et aussi des profils des personnes qui sortent de prison, dont la sortie n’a pas été anticipée. Ces personnes n’arrivent pas à se présenter face aux employeurs. Il faut envisager des préparations aux entretiens d’embauche, un travail sur l’image que la personne a d’elle-même et qu’elle va renvoyer aux autres. Cela dit, mon accompagnement reste globalement le même pour tout le monde, même si je l’adapte à chaque profil, je fais vraiment du cas par cas.

Cet article est publié pour le compte de « La Place », la plateforme collaborative créée par la DGEFP, dédiée aux acteurs de l’AMI O2R et du PACTE de la Région Nouvelle-Aquitaine :https://www.cap-metiers.pro/pages/552/Place.aspx